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Les bonobos ont l’art des bonnes manières

Comme les humains, certains primates utiliseraient des gestes et des vocalisations qui s’apparentent à nos bonjours et au revoir. A ce petit jeu, les bonobos semblent mieux «éduqués» que les chimpanzés

Quoi de plus impoli qu’une personne qui part subitement au milieu d’une danse sans même un regard? Des bonobos mâles jouent. Sanctuaire de Lola Ya, RDC. — © Getty Images/Minden Pictures RM
Quoi de plus impoli qu’une personne qui part subitement au milieu d’une danse sans même un regard? Des bonobos mâles jouent. Sanctuaire de Lola Ya, RDC. — © Getty Images/Minden Pictures RM

Imaginez-vous sur une piste de danse, au début d’une valse. Trouver un partenaire, croiser son regard, hocher la tête ou souffler un timide bonjour, avant de synchroniser ses pas au son de la musique – sans oublier le sourire, le merci ou l’au revoir à la fin de la danse: la coopération entre humains est régie par de nombreuses règles.

Une interaction comme cette valse, a priori naturelle, obéit à de nombreux codes sociaux nécessaires à la complicité. Ces regards et gestes en début et fin d’une activité commune permettent son bon déroulement, si bien que s’ils ne sont pas présents, la réprobation, voire la colère, monte. Quoi de plus impoli qu’une personne qui part subitement au milieu d’une danse sans même un regard?

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Une nouvelle étude internationale pilotée par l’Université de Neuchâtel et publiée le 11 août dans la revue iScience met en évidence que ces codes se retrouvent aussi chez les grands singes. Les éthologues ont observé 50 singes au total parmi deux groupes de bonobos et trois groupes de chimpanzés dans des zoos des Etats-Unis, de Suisse et de France.

Les primates ont été filmés lorsqu’ils s’épouillaient et jouaient. Les scientifiques se sont particulièrement concentrés sur ce qui se passait au début et à la fin des 1242 activités enregistrées. Les analyses ont mis en évidence que ces grands singes se regardaient mutuellement et produisaient des gestes et des vocalisations à l’instar des codes sociaux utilisés lors d’une interaction humaine. Les singes posséderaient donc une certaine conscience d’être engagés ensemble dans leurs épouillages et leurs jeux et communiquent afin de maintenir une bonne relation. Comme nous.

Les chimpanzés jouent des muscles

Le résultat le plus étonnant de cette étude reste que ces gestes et vocalisations sont modérés par le type de relation chez les bonobos. En particulier, moins ils sont proches, plus ils produisent de ces gestes, comme c’est le cas dans la politesse humaine. Emilie Genty, coauteur de l’étude et coordinatrice scientifique au laboratoire de cognition comparée de l’Université de Neuchâtel et du Pôle de recherche Evolving Langage, illustre cette particularité: «C’est comme lorsque nous voyons que la personne en face de nous a une miette sur la joue: si celle-ci est inconnue, nous utiliserons des formules de politesse pour le lui signaler. S’il s’agit d’un membre de notre famille, nous ne passerons pas par quatre chemins et nous l’enlèverons directement.» Les bonobos aussi prennent davantage de précautions si l’individu avec lequel ils interagissent leur est moins proche.

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L’étude a aussi montré que cet effet est plus présent chez les bonobos que chez les chimpanzés. Un résultat qui pourrait s’expliquer par le degré de tolérance plus haut chez les premiers. Ils utilisent plus leurs liens amicaux pour monter les échelons de la hiérarchie sociale, tandis que les chimpanzés emploient davantage leur force physique. Cette similarité entre les singes et les humains est troublante. Elle nous permet d’en apprendre plus sur nous-mêmes et le rôle de la politesse.

Rassurer les inconnus

Thibaud Gruber, professeur assistant à l’Université de Genève spécialisé dans la cognition des chimpanzés, précise: «Plus une espèce est sociale, plus il y a d’interactions, et plus c’est alors important d’avoir certains mécanismes comme ceux observés dans cette étude. Ils permettent de montrer que les intentions entre deux partenaires sont pacifiques, ce qui est particulièrement important lorsqu’il y a un contact physique, comme lors de l’épouillage ou du jeu. Il serait en effet facile de blesser l’autre avec cette proximité. Il est donc nécessaire de montrer que les intentions sont bonnes pour le bon fonctionnement d’une interaction.»

Ce n’est pas la première fois que la gestuelle des bonobos est passée au crible des scientifiques. Emilie Genty et son équipe avaient ainsi déjà mis en évidence que ces animaux modulent leur message vocal grâce à des gestes tantôt amicaux, tantôt brutaux, ce qui leur permet de lever toute ambiguïté sur la signification de leurs cris. De quoi nourrir la réflexion sur l’origine et l’évolution de notre propre langage.