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Dans le cerveau, une fabrique de neurones à la demande

Une équipe du CHUV est parvenue à identifier, chez la souris, comment le cerveau pouvait créer de nouveaux neurones lors de stimulations accrues. Publiée dans la revue «Neuron», cette étude permet de mieux comprendre les mécanismes de la neurogenèse

«Depuis plusieurs années, on se posait la question de savoir ce qui contrôlait la division des cellules souches. Cette étude, menée avec une technique solide, nous offre une meilleure compréhension de la neurogenèse.» - Kurt Sailor, spécialiste dans les questions de plasticité cérébrale à l’Institut Pasteur de Paris. — © DR
«Depuis plusieurs années, on se posait la question de savoir ce qui contrôlait la division des cellules souches. Cette étude, menée avec une technique solide, nous offre une meilleure compréhension de la neurogenèse.» - Kurt Sailor, spécialiste dans les questions de plasticité cérébrale à l’Institut Pasteur de Paris. — © DR

Comment le cerveau parvient-il à fabriquer des neurones à la demande en cas d’activité intense? Si l’on sait depuis longtemps qu’un environnement riche ou pauvre en stimulations peut accroître ou, au contraire, inhiber la production de nouvelles cellules nerveuses chez les mammifères, les mécanismes de cette régulation, eux, restaient encore très flous.

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Menée conjointement par l’Unité de recherche sur la dépression du CHUV, à Lausanne, et l’Université de Caroline du Nord, aux Etats-Unis, une étude publiée dans la revue Neuron en juillet dernier vient apporter de nouvelles pistes de compréhension à la neurogenèse adulte, un phénomène ayant principalement lieu au sein du gyrus denté, une petite structure cérébrale consacrée à la mémoire épisodique et à la régulation des émotions.

En s’appuyant sur la microscopie électronique et des expériences menées sur la souris, l’équipe dirigée par Nicolas Toni, professeur associé au Centre des neurosciences psychiatriques du CHUV et de l’Université de Lausanne, est parvenue à cibler un duo de neurones spécialisés de l’hippocampe – les neurones dits moussus et les neurones parvalbumine – exerçant des effets opposés sur la prolifération des cellules souches neurales. «Nous avions déjà observé que les cellules souches présentes dans le cerveau adulte possédaient de fins filaments qui enrobaient certaines synapses, à savoir la région de contact par laquelle les neurones communiquent entre eux, mais nous ne savions pas à quoi ils servaient, explique le chercheur. Par la suite, nous avons compris que ces filaments étaient dotés de récepteurs au glutamate, le neurotransmetteur principal du cerveau. C’est un peu comme si les cellules souches étaient dotées d’oreilles pour écouter les messages que les neurones se transmettent.»

Dépression et alzheimer

L’équipe lausannoise est cette fois parvenue à identifier que les cellules souches s’avéraient particulièrement réceptives aux ordres donnés par les neurones moussus. «Lorsque ces derniers sont fortement stimulés, par exemple face à un nouvel environnement, ils sont capables de faire augmenter la prolifération de cellules souches et donc la production de nouveaux neurones. A contrario, lorsque la stimulation est faible, ils la diminuent par l’intermédiaire des neurones parvalbumine», détaille le neurobiologiste.

Contacté par Le Temps, le chercheur Kurt Sailor, spécialisé dans les questions de plasticité cérébrale à l’Institut Pasteur, à Paris, considère ce travail comme très intéressant: «Depuis plusieurs années, on se posait la question de savoir ce qui contrôlait la division des cellules souches. Cette étude, menée avec une technique solide, nous offre une meilleure compréhension de la neurogenèse.»

Si ces résultats devaient être transposables à l’homme, cette découverte pourrait également permettre de mieux comprendre pourquoi une baisse d’activité, liée par exemple à une dépression ou à la maladie d’Alzheimer, induit une baisse de la neurogenèse et contribue à la réduction de la taille de l’hippocampe, manifestation typique de ce type d’affections. «Il faut évidemment rester très prudent, mais il n’est pas impossible, si l’on arrivait à augmenter l’activité des neurones moussus chez ces patients, que l’on puisse stimuler la neurogenèse et ainsi obtenir des effets thérapeutiques intéressants», avance Nicolas Toni.

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Sujet controversé

Ces conclusions demeurent encore de l’ordre de l’hypothétique, car la question de la neurogenèse adulte chez l’humain demeure un sujet controversé, divisant les scientifiques depuis des décennies. Jusque dans les années 60, on considérait en effet que la structure du cerveau demeurait fixe. Pour les spécialistes de la question, on naissait avec un stock de neurones qui ne faisait que décroître au fil des ans.

A la fin des années 90, plusieurs études, dont l’une réalisée notamment par Fred Gage sur des patients atteints de cancer en phase terminale, viennent toutefois ébranler ce dogme, montrant que le cerveau humain est aussi capable de générer de nouvelles cellules nerveuses. En 2013, une recherche conduite par le Suédois Jonas Frisen entre encore davantage dans les détails. S’appuyant sur la datation au carbone 14 atmosphérique, elle avance que 1400 neurones se forment chaque jour, soit un renouvellement annuel de 1,75% de l’hippocampe. Puis, nouveau coup de théâtre: un travail, très controversé, portant sur 59 sujets humains et publié en mars par le chercheur Arturo Alvares-Buylla, affirme que la neurogenèse s’arrêterait à l’âge de 13 ans.

Malgré des évidences solides en faveur de l’existence de la neurogenèse adulte, le doute subsiste donc toujours. Il faut dire qu’étudier le cerveau humain demeure une mission complexe, car les tissus post mortem se dégradent très rapidement, mais aussi car les techniques d’imagerie manquent encore de précision pour étudier l’activité neuronale. «De nouvelles technologies, comme le séquençage génétique à l’échelle d’une seule cellule, sont en train d’arriver, se réjouit Nicolas Toni. Elles devraient nous permettre de répondre beaucoup plus efficacement à toutes ces questions.» De quoi, peut-être, mettre enfin tout le monde d’accord.