Une usine de retraitement des déchets
Au cours de sa vie, la cellule synthétise les molécules dont elle a besoin – comme les protéines, les glucides et les lipides – à partir des nutriments issus de l’alimentation, et elle dégrade celles qui sont trop vieilles ou abîmées. «L’accumulation de ces protéines non conformes entraîne la formation d’agrégats qui sont toxiques pour la cellule, explique la biologiste. Ils sont «nettoyés» grâce à l’autophagie par la formation d’une vésicule qui capture ces déchets, l’autophagosome, et les amène vers une autre vésicule, le lysosome, qui joue le rôle d’usine de traitement.» Le lysosome contient en effet des enzymes qui dégradent les protéines en petits morceaux. Or dans la cellule, pour reprendre la formule du chimiste Antoine Lavoisier, «rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme»: ces morceaux, des acides aminés, sont utilisés par la cellule pour fabriquer des nouvelles protéines.
«Le stress active l’autophagie chez les eucaryotes, explique Brigitte Galliot. Par exemple, un choc de température, un déséquilibre en sel ou en sucre, un manque d’oxygène sont autant d’événements déclencheurs. L’autophagie est très facile à induire en laboratoire.»
Etude sur des mutants
L’autophagie n’en est pas à son premier Nobel puisque le biochimiste belge Christian de Duve – le premier à utiliser le terme d’autophagie – a été couronné par le prestigieux prix en 1974 pour sa découverte du lysosome dans les années 50 et 60. Mais il a fallu attendre les travaux du professeur japonais, trente ans plus tard, pour comprendre les étapes de l’autonettoyage de la cellule. Après ses trois années passées à l’Université Rockefeller de New York, le jeune Yoshinori Ohsumi retourne au Japon en 1988. Il établit son propre groupe de recherche à l’Université de Tokyo qui étudie l’autophagie dans la cellule eucaryote de la levure du pain et de la bière, «Saccharomyces cerevisiae».
Se servant de la levure comme modèle biologique, le biologiste japonais a réussi à obtenir des versions mutantes de «S. cerevisiae» dans lesquelles il n’observe plus du tout de vésicule d’autophagie. Grâce à une étude génétique de ces mutants, il identifie quinze gènes qui sont essentiels au bon fonctionnement de l’autophagie chez les eucaryotes. Il publie ses résultats en 1993 dans la revue FEBS LETTERS. «L’étude de l’autophagie était particulièrement compliquée techniquement car il s’agit d’un processus transitoire, tout le temps en mouvement, avec des vésicules qui se forment et disparaissent constamment», note Brigitte Galliot. Cette difficulté d’observation a nécessité de trouver des outils comme des détecteurs fluorescents – utilisés par les chercheurs de nos jours – qui s’intègrent aux vésicules d’autophagie et les pistent, explique-t-elle.
Boom de l’autophagie
«La recherche sur l’autophagie connaît un «boom» depuis une dizaine d’années car plus ce processus a été étudié plus on s’est aperçu qu’il était impliqué dans de nombreuses fonctions du vivant, précise la biologiste. L’autophagie est à un carrefour entre le métabolisme de la cellule, le développement de l’organisme et son vieillissement.»
En particulier, l’autophagie joue un rôle très important dans la «forme» de la cellule au cours du temps. «L’accumulation des agrégats de vieilles protéines dans la cellule est une des causes majeures du vieillissement, explique Brigitte Galliot. Or l’autophagie empêche leur formation. De plus, l’autophagie est surtout activée quand il n’y a pas d’apport en nutriment, c’est-à-dire en période jeûne. Il est donc essentiel de limiter les snacks et de «jeûner» entre les repas. Certains chercheurs espèrent même trouver un médicament qui mime le jeûne afin de stimuler l’autophagie des cellules et donc de ralentir le vieillissement.»
Et si les agrégats s’amoncellent dans la cellule vieillissante, gare aux problèmes. La biologiste genevoise rappelle que certains de ces amas de protéines sont responsables du développement de maladies neurodégénératives comme les maladies de Parkinson et d’Alzheimer. La découverte de Yoshinori Ohsumi a posé les jalons d’un champ de recherche qui dépasse largement le stress de la levure de bière.