Sept insectes sont partis en migration et les scientifiques ont pu enregistrer les tracés de leur vol au-dessus de la Suisse. «Les papillons ont voyagé vers le sud ou le sud-ouest, toujours en ligne droite sur des dizaines de kilomètres, c’est très surprenant, et cela dénote un bon système de navigation, explique Myles Menz, biologiste à l’Institut Max Planck à l’époque de l’expérience, de retour à l’Université James Cook en Australie et premier auteur de l’étude publiée jeudi dans Science. Les insectes ont parfois volé dans des conditions de vents défavorables. Nous pensions que cela pouvait arriver mais pas aussi systématiquement. Ils ont été capables d’ajuster leur trajectoire.» Deux papillons ont même traversé les Alpes en une seule nuit, car ils ont été retrouvés de l’autre côté du massif le lendemain matin.
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En analysant les cartes des vents soufflant au moment du voyage des sphinx, les auteurs de l’étude ont pu mettre au jour plusieurs stratégies des papillons de nuit pour s’adapter aux courants d’air. Certains ont choisi de voler face au vent, plein sud, à basse altitude, pour mieux contrôler leur trajectoire. Alors que d’autres se déplaçaient avec un vent plus favorable, dans le dos ou de travers, à une altitude plus élevée, en moyenne à 300 mètres au-dessus du sol. Au final, des stratégies qui visent à optimiser la vitesse de vol en limitant les dépenses d’énergie, selon les auteurs.
«Nous pensons que les sphinx tête-de-mort possèdent une sorte de compas interne, basé sur une combinaison de mécanismes biologiques encore non expliqués, pour s’orienter et garder leur cap, affirme Myles Menz. Ils pourraient utiliser le champ magnétique terrestre comme cela a été démontré chez d’autres espèces de papillons de nuit, ou encore leur très bonne vision nocturne pour lire des éléments du paysage.»
Champ magnétique et vision nocturne
«C’est une découverte fantastique», commente Eric Warrant, professeur de zoologie fonctionnelle à l’Université de Lund. Pendant des années, les scientifiques pensaient que les papillons de nuit se déplaçaient au gré du vent, un peu au hasard, plus ou moins dans la bonne direction, mais nous avons de plus en plus de preuves montrant qu’ils sont capables d’ajuster leur route. Ils savent où ils vont.»
Cet expert de la migration des papillons de nuit, qui n’a pas participé à l’étude de Science, a démontré en 2018que le bogong, une autre espèce migratrice, australienne, et plus petite qu’Acherontia atropos, était capable d’utiliser le champ magnétique terrestre pour se diriger. «Et même les étoiles dans le ciel, ajoute le spécialiste, selon des travaux de son équipe non encore publiés. Nous avons observé des circuits dans le cerveau de ces papillons de nuit capables d’analyser la rotation des astres dans le ciel. D’autres insectes sont sûrement capables d’utiliser des «boussoles» similaires.»
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Beaucoup de questions demeurent encore pour comprendre la migration chez les sphinx tête-de-mort. «Nous ne savons toujours pas quelle distance ils sont capables de parcourir, ni combien de stops ils font en route, et quelle est leur destination finale, souligne Myles Menz. Et il existe aussi plein d’autres espèces à propos desquelles tout reste à découvrir.»