Sciences. Michel Mayor, directeur de l'Observatoire de Genève: «La chasse aux planètes baigne dans une totale euphorie»
Cet astrophysicien devenu célèbre par la découverte de la première planète extérieure au système solaire revient sur un phénomène scientifique et médiatique.
Comme d'autres courent les lièvres ou les profits, lui chasse les étoiles. Directeur de l'Observatoire de Genève, Michel Mayor est devenu célèbre, avec son compère Didier Queloz, par la découverte, en 1994 – l'annonce officielle eut lieu à l'été 1995 –, de la première planète extérieure au système solaire. Compagne de l'étoile 51 Pégase, cette exoplanète a été repérée à l'Observatoire de Haute-Provence. Dans un livre à paraître le 26 janvier et écrit en collaboration avec le journaliste Pierre-Yves Frei, Michel Mayor raconte par le menu ce qui est devenu une épopée scientifique moderne. Depuis 1995, quelque 50 exoplanètes ont été décelées.
– Comment avez-vous vécu ces cinq années, marquées par l'annonce fracassante de votre découverte?
– Dans une grande excitation scientifique. Cela a énormément stimulé notre activité dans ce domaine. Nous vivons une période extrêmement faste, mais qui dit faste dit aussi une certaine pression via les conférences internationales: il y en a trop. Tout le monde est intéressé par ce sujet et cela nous met sous pression. Quant à l'aspect médiatique, nous n'étions clairement pas préparés. En 1999, j'ai tenu 83 conférences publiques pour plus de 8000 personnes. Je n'ai pas fait le compte pour 2000, mais je suppose que le nombre est encore supérieur. Cela dit, je ne m'en plains pas: de nombreux chercheurs travaillent dans des secteurs non moins intéressants mais n'ont aucun contact avec le public.
– Arrivez-vous encore à travailler, ou êtes-vous devenu le porte-drapeau médiatique qui fait vivre une équipe?
– J'y arrive encore! Que je le veuille ou non, je suis encore directeur de l'Observatoire et professeur. Des problèmes se posent parfois en termes d'orientations de recherche, dans les discussions avec mes jeunes collègues: par exemple, nous construisons des instruments de travail pour l'ESO [l'Observatoire européen, qui regroupe neuf pays, ndlr], il faut donc faire des choix et avoir le temps d'en discuter. J'essaie de faire de l'observation deux ou trois fois par année. S'ajoutent des cerises sur le gâteau, c'est-à-dire les mesures faites par des satellites ou par le télescope spatial Hubble.
– Au moment où vous avez annoncé la découverte de votre exoplanète, les chercheurs de planètes étaient plongés dans le doute. En termes de politique et de financement, votre succès est bien tombé…
– Le fait d'apporter la preuve de cette découverte, et de montrer que les instruments sont assez sensibles, a été important. Il est indéniable que j'ai davantage de collaborateurs aujourd'hui, que nous sommes généreusement soutenus par le Fonds national suisse de la recherche scientifique et que pour obtenir des temps d'observation à l'ESO, notre domaine bénéficie d'une certaine priorité.
– Aujourd'hui, le milieu des chasseurs d'étoiles est-il en pleine effervescence?
– Une euphorie totale. Aussi bien au sol que dans l'espace: le nombre de projets de satellites et de missions spatiales prévus pour la recherche de planètes extrasolaires est colossal. Il s'agit par exemple de préparer des missions futures, des sondes, qui auront pour but de chercher une forme de vie. Du côté américain, c'est notamment le programme «Kepler», et, en Europe, «Gaia». D'abord, il faudra détecter les planètes analogues à la Terre, car celles qui ont été découvertes depuis 1995 sont des géantes gazeuses comparables à Jupiter ou Saturne, et il est délicat d'investir dans des sondes si l'on n'a pas défini précisément les cibles. Des réseaux de satellites seront créés, qui viseront la même étoile et qui, en interférant leur lumière pour ne pas être éblouis, «éteindront» en quelque sorte l'étoile pour voir les petites planètes, puis analyser la composition chimique de leur atmosphère. L'espoir est de trouver une «signature», c'est-à-dire une composition chimique anormale qui permette de penser que la vie a modifié les données de base. Par exemple, la Terre compte 20% d'oxygène, un corps agressif qui ne devrait pas s'y trouver: s'il y en a, c'est l'indice que la vie s'y est développée.
– Qui sont les autres chasseurs de planètes aujourd'hui?
– Les gens gravitant autour de Geoffrey Marcy, en Californie, qui utilisent des télescopes à Hawaï, en Californie et en Australie; notre groupe, qui utilise deux installations au Chili et une en Haute-Provence; et une équipe au Texas, une à Harvard, une au Chili, qui ont chacune découvert une ou deux planètes. De fait, la compétition s'est bipolarisée entre le groupe de Geoffrey Marcy et le mien.
– Une concurrence féroce, non?
– Sans aucun doute. Mais au niveau individuel, nos rapports sont bons. Nous nous voyons parfois lors de conférences, Jeff Marcy s'est même arrêté une fois en Suisse et nous avons fait une promenade en montagne…
– … et vous ne l'avez donc pas poussé du haut d'une falaise…
– Non, nous nous entendons bien! En revanche, je suis souvent irrité par les médias américains, dont les propos sont régulièrement biaisés. Par exemple, la NASA annonçait récemment la découverte de deux systèmes que nous avions déjà présentés à Manchester il y a six mois… Cette agence a parfois une manière totalement inélégante de traiter les groupes de recherche européens, elle a une telle soif de visibilité sur le marché américain qu'elle déroge aux règles élémentaires de l'objectivité.
– Mais par réaction, n'êtes-vous pas aussi tenté, en Europe, d'entrer dans de telles guerres d'informations?
– Il ne fait aucun doute que cette évolution a poussé les scientifiques européens à vouloir être plus présents sur le plan médiatique. L'ESO s'est ainsi doté d'un service de presse qui diffuse communiqués et images. Nous sommes pris dans ce mouvement. Cela dit, nous formons un petit monde de chercheurs qui se connaissent et s'observent, donc qui sont tenus à une certaine rigueur.
– En fait, votre objectif est maintenant plus qualitatif que quantitatif: vous ne cherchez pas vraiment à augmenter le nombre d'exoplanètes connues, vous visez des astres d'un certain genre…
– Avec une découverte par mois, grosso modo, nous ne souhaitons pas absolument en ajouter une de plus sur la liste. Nous voulons plutôt comprendre: ces trouvailles doivent nous apprendre quelque chose sur la formation des planètes et les systèmes planétaires. Par exemple, avec un collègue des Canaries, je me penche sur la composition chimique des étoiles autour desquelles gravitent des planètes, car on sait que cette composition est, elle aussi, anormale par rapport à celles qui n'ont pas de planètes. Cela pourrait nous renseigner sur la formation des systèmes. Notre intérêt se porte aussi sur les instruments: nous construisons ainsi un nouveau spectrographe [appareil qui permet notamment de mesurer la «signature» lumineuse d'une planète, ndlr] destiné aux installations de la Cilla, au Chili, qui sera cinq à dix fois plus sensible.
– Qu'est-ce qui vous motive?
– La curiosité. Ce n'est pas très original, mais je crois que c'est, normalement, la motivation première des chercheurs.
– La recherche de la vie dans l'Univers, est-ce votre horizon?
– Elle donne une direction, elle ne nous motive pas aujourd'hui. D'autres groupes travaillent sur ce thème. Notre recherche s'imbrique dans ces travaux, mais il s'agit d'un objectif lointain. Personnellement, j'attends beaucoup du retour des roches martiennes, dans dix ans. Il sera terriblement intéressant de voir si l'on trouve des formes de vie dans ces roches profondes, qui n'ont pas été altérées.
– La vie ailleurs que sur Terre, est-ce une question de probabilité, de croyance ou d'imagination?
– Un peu des trois. Il y a des milliards d'équivalents de notre Voie lactée dans l'Univers, chacune compte des milliards d'étoiles, et les planètes constituent une sorte de sous-produit des étoiles. Il existe donc d'innombrables planètes à la bonne distance et à la bonne température. Nous devons néanmoins être prudents car la vie s'est développée très vite sur Terre: le pas le plus difficile fut de produire la première bactérie… L'imagination, elle, se manifeste depuis plus de deux mille ans. Epicure a proposé l'existence de plusieurs mondes, et pourquoi pas de mondes habités. Mais la vie sur Terre est déjà suffisamment riche, pourquoi imaginer des histoires abracadabrantes?