Sciences: Un sursaut géant a secoué le Soleil début avril
La tempête de particules n'a pas touché la Terre. Ces événements potentiellement dangereux font l'objet d'une météo spatiale.
Le 2 avril dernier, dans un sursaut géant, le Soleil a émis une tempête de particules et de rayonnements dans l'espace. Heureusement pas dans la direction de la Terre, soulignent les spécialistes de la NASA et de l'ESA qui exploitent en commun le satellite SOHO (SOlar and Heliospheric Observatory), qui scrute l'étoile en continu depuis cinq ans. L'explosion du 2 avril est en effet la plus puissante jamais observée depuis 1976, date à laquelle on a commencé à enregistrer régulièrement les flux de rayons X en provenance du Soleil. En 1989, toujours selon la NASA et l'ESA, un sursaut moins important mais dirigé en direction de la Terre avait provoqué une panne quasi généralisée d'électricité au Québec et d'importantes perturbations dans les télécommunications.
L'événement du 2 avril était plutôt inattendu. Le Soleil, qui obéit à un cycle d'environ 11 ans, aurait théoriquement dû atteindre son activité maximale l'an dernier. «Ce cycle est variable, explique Raoul Behrend, astronome à l'Observatoire de Genève. Celui que l'on vit actuellement a commencé en retard sur les prévisions. Mais il devrait bientôt se terminer: les grosses explosions sont en général le signe que l'activité va décroître.»
Ces sursauts, qui transforment l'habituel vent solaire en tempête de particules – essentiellement des protons et des électrons, accompagnés de rayons X et ultra-violets – sont dus au brusque réarrangement du champ magnétique de l'étoile. Cette boule de gaz ionisés tourne sur elle-même, comme la Terre, mais à des vitesses différentes selon la latitude. «La rotation est plus rapide à l'équateur qu'aux pôles, poursuit Raoul Behrend. Cela provoque des distorsions des lignes de champ magnétique.» Ces dernières se tordent, se brisent, se reconnectent, forment des boucles. Et parfois, comme le 2 avril dernier, la brusque réorganisation de ce champ engendre une expulsion beaucoup plus importante de matière et d'énergie. Cette activité se traduit visuellement par les taches solaires, des zones un peu plus froides d'où émergent les lignes du champ magnétique.
Les taches solaires, même si leur présence n'est pas forcément annonciatrice d'une explosion majeure, sont donc scrutées très attentivement par les Terriens. Dans les longueurs d'onde de la lumière visible, bien sûr, mais aussi dans le domaine des rayons X et ultra-violets. Les paramètres du vent solaire – vitesse et densité des particules – sont enregistrés et diffusés en direct sur des sites de météorologie spatiale sur Internet*. Pour l'instant, la prévision n'excède guère les deux ou trois jours, le temps qu'il faut en général aux particules pour parcourir les 150 millions de kilomètres qui nous séparent du Soleil. Mais les spécialistes ne désespèrent pas de faire mieux. Il leur reste à comprendre pourquoi telle tache solaire plutôt que telle autre engendre un sursaut, et à prévoir l'évolution de ces taches qui migrent dans l'étoile, qui peuvent se fragmenter ou au contraire se regrouper. Dans ce domaine, la sonde SOHO a déjà accompli un exploit en mars 2000: elle a montré qu'il était possible de suivre le mouvement des taches qui migrent de la face cachée vers le côté visible du Soleil.
Les bulletins météo de l'espace sont toujours plus consultés, notamment par les exploitants de satellites. Si sur Terre, en effet, les tempêtes solaires ne parviennent pas – ou peu lors des sursauts les plus violents – à traverser l'atmosphère, elles peuvent agir sur les engins placés en orbite. Ces rayonnements à haute vitesse et haute énergie peuvent tout d'abord avoir des effets délétères sur les systèmes électroniques embarqués, ordinateurs, appareils de mesure ou systèmes de télécommunication. Il arrive que les ingénieurs prennent la décision de mettre les équipements au repos à l'arrivée d'une brusque bourrasque de particules, pour prévenir tout dégât.
Les orages solaires ont également pour conséquence de leur faire perdre de l'altitude: «On a constaté que la densité de l'atmosphère augmente lors des orages solaires, jusqu'à quelques centaines de kilomètres d'altitude, là où se trouvent les satellites et autres stations spatiales en orbite basse, explique Raoul Behrend. Le freinage est donc plus important, ce qui entraîne une perte d'altitude. Lors du maximum d'activité précédent du Soleil, entre 1988 et 1990, la station Mir perdait par exemple jusqu'à 50 mètres d'altitude par jour, au lieu de 5 à 10 mètres en cas de vent solaire normal.» Les ingénieurs au sol doivent donc régulièrement compenser ces diminutions d'altitude à l'aide de moteurs d'appoint. Les astronautes ont enfin intérêt à consulter la météo spatiale avant d'entamer une sortie extra-véhiculaire: leurs combinaisons ne sont en effet pas à même de stopper l'intense rayonnement produit lors d'un sursaut solaire.
Les spécialistes en télécommunication s'intéressent aussi aux caprices solaires. Les tempêtes de particules peuvent en effet provoquer des black out ou des brouillages, notamment dans la gamme des ondes courtes. Ce phénomène est dû à l'ionisation intense de l'atmosphère: «Les ondes radio, réfléchies par l'ionosphère, se propagent différemment lors d'un orage solaire, note Raoul Behrend. A puissance égale, un émetteur couvre un territoire plus grand que d'habitude, des interférences apparaissent.»
Mais d'autres humains, plus contemplatifs, consultent la météo spatiale: les amateurs d'aurore boréale. Ce phénomène est aussi dû à l'ionisation de l'atmosphère: les gaz ionisés (azote, oxygène…) libèrent cette énergie en émettant toute une palette de teintes susceptibles d'illuminer les nuits, en général dans les régions polaires. «Plus le sursaut solaire est important, plus il y a de chance d'observer une aurore boréale plus au sud, poursuit Raoul Behrend. Ces derniers temps, vu l'activité solaire très importante, on a pu observer de magnifiques aurores boréales jusqu'en Suisse**, ce qui n'arrive que trois ou quatre fois par cycle solaire.»
* Adresse Internet: http://www.spaceweather.com
** Des photos sont publiées sur le site de la Société astronomique de Genève à l'adresse http://astroclub.net/mercure/sag/membres/aurores.html