Aux Etats-Unis, la propagation du coronavirus s’est accélérée ces derniers jours, notamment dans les états du Sud. Ce jeudi, plus de 35 000 nouveaux cas en vingt-quatre heures ont été signalés, mais malgré ce rebond un second confinement n’est pas envisagé. Dans certains Etats, les mesures d’isolement avaient entraîné des manifestations en avril. De l’autre côté de l’océan Atlantique, le déconfinement de la majorité des pays européens a aussi entraîné un certain relâchement dans les mesures de distanciation sociale.

Des chercheurs allemands se sont livrés à une analyse regroupant trois études menées aux Etats-Unis pour comprendre pourquoi une importante partie de la population a du mal à accepter et à comprendre l’utilité de ces mesures. Cette dernière, publiée par la revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences), met en évidence l’impact d’un biais cognitif, le biais de croissance exponentielle, sur l’adhésion de la population aux règles de distanciation sociale.

Une vitesse de propagation difficile à appréhender

Ces études ont été menées sur trois groupes différents de plus de 500 personnes pendant la deuxième partie du mois de mars, alors que la croissance de l’épidémie s’emballe aux Etats-Unis. Dans un premier temps, les chercheurs ont demandé aux participants d’estimer le nombre de nouveaux cas sur les cinq jours passés. Sur les trois premiers jours de la semaine, ces derniers ont tendance à surestimer le nombre de cas, mais la tendance s’inverse sur les deux derniers jours. Sur l’ensemble de la période, les personnes interrogées ont en moyenne sous-estimé la croissance de l’épidémie de 45,7% par rapport à son évolution réelle.

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Cette double tendance s’explique par la difficulté à appréhender la propagation exponentielle du virus. Les estimations de la majorité des participants suivent en fait un modèle linéaire d’évolution de l’épidémie. Les chercheurs ont également cherché à mettre en évidence l’influence des convictions politiques sur les estimations des participants. Globalement, ceux se considérant comme conservateurs ont eu plus de mal à estimer la vitesse de diffusion du virus que ceux se présentant comme libéraux.

Pour autant, les auteurs indiquent que les conservateurs ne sous-estimaient pas l’ampleur du problème. Ils ont même eu tendance à davantage surestimer le nombre de cas que les libéraux pendant les trois premiers jours, mais ils ont eu plus de mal à prendre en compte la rapidité avec laquelle les cas se sont effectivement multipliés.

Un biais connu

Dans un deuxième temps, les chercheurs ont répété les conditions de la première expérience mais en séparant le nouvel échantillon en deux groupes. La moitié des participants ont reçu un message d’avertissement leur indiquant que la plupart des personnes n’arrivaient pas estimer correctement la vitesse de propagation du Covid-19 et qu’«aux Etats-Unis (comme dans presque tous les autres pays) le nombre de patients double et continue de doubler tous les trois jours».

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Encore une fois, les deux groupes ont eu tendance à surestimer le nombre de cas dans un premier temps, puis à le sous-estimer ensuite. Toutefois, les estimations du groupe ayant reçu l’avertissement se sont révélées plus proches de l’évolution réelle de la maladie que celles du groupe de contrôle.

Cette difficulté d’appréhender le phénomène de croissance exponentielle a déjà été mise en évidence dans d’autres études, notamment dans le domaine économique. En 2009, des chercheurs avaient montré que les ménages touchés par ce biais avaient tendance à emprunter plus et à épargner mois. Une autre étude de 2015 a révélé que plus une personne était touchée par ce biais, plus elle se montrait confiante dans sa capacité à évaluer une croissance exponentielle.

Mieux informer pour obtenir plus de soutien

Les chercheurs notent également que les participants avertis ont davantage tendance à soutenir les mesures de distanciation sociale. Dans un troisième volet, ils se sont donc demandé s’il était possible de corriger ce biais. Cette fois, l’ensemble des participants ont reçu les chiffres de l’évolution réelle du nombre de cas aux Etats-Unis ainsi que l’avertissement sur l’incapacité des gens à appréhender cette croissance exponentielle.

Il leur a ensuite été demandé d’estimer l’évolution de l’épidémie sur les quinze jours à venir. Le groupe de contrôle a dû donner directement le nombre de cas à la fin de la période, tandis que le second groupe devait estimer l’évolution du virus en cinq étapes espacées de trois jours. Les participants de ce dernier ont donné des estimations proches d’une courbe exponentielle et un résultat final supérieur de 173% par rapport au groupe de contrôle. Ce dernier volet montre qu’en demandant à certains participants de prendre en compte différentes étapes de progression du nombre de cas dans le futur, ils ont une meilleure compréhension des effets d’une croissance exponentielle de l’épidémie et soutiennent davantage les mesures de distanciation sociale.

Pour les auteurs, ces résultats montrent à quel point l’impact de ce biais cognitif est important dans la perception que la population a de l’épidémie et quant à son soutien aux mesures de distanciation sociale. Ils soulignent également que dans le cadre d’une crise aussi médiatisée que celle du Covid-19, il est possible de corriger ce travers en avertissant la population.