Retour vers la suture
Entourée de mythes et de légendes, pratiquée depuis l’Antiquité mais longtemps synonyme d’une mort certaine, la césarienne n’est devenue vraiment sûre qu’au milieu du XXe siècle. Elle est aujourd’hui l’une des opérations les plus pratiquées au monde

Cet article est le dernier d'une série qui raconte des épisodes particulièrement sanglants de l’histoire de la médecine: les premières greffes ou césariennes, ou des pratiques aujourd’hui abandonnées, comme les saignées.
Episodes précédents :
Anesthésie : contre la douleur, se laisser endormir
De la saignée à la transfusion, quand le sang coulait à flots
La chirurgie plastique, entre gueules cassées et parfum de soufre
La dissection, cet objet vénal des fossoyeurs clandestins
L’histoire aura davantage retenu ses talents de chirurgien improvisé que ses compétences de châtreur de porcs. Pourtant, c’est grâce à ses connaissances en anatomie glanées auprès de ses bêtes que Jacques Nufer est entré dans la postérité, marquant de son empreinte de nombreux récits médicaux. Nous sommes alors en 1500 dans le petit village de Siegershausen, en Thurgovie. Après plusieurs jours de travail et l’aide de 13 sages-femmes, il faut se rendre à l’évidence, Elisabeth Alepaschin, l’épouse de l’éleveur, ne parviendra pas à accoucher naturellement. Désespéré, ce dernier convoque les autorités locales. Il veut tenter ce que personne ne semble être parvenu à faire avant lui en Occident: pratiquer une césarienne pour sauver mère et enfant.
Survivre revenait à jouer au loto
Jusque-là, autant le dire de suite, la probabilité de sortir indemne de ce type de chirurgie était aussi grande que de gagner au loto. «L’épuisement […] au moment de l’opération, le choc opératoire sans anesthésie, l’incapacité d’arrêter l’écoulement sanguin, le manque de précaution d’hygiène, l’impossibilité́ d’arrêter le processus infectieux lorsqu’il s’installe sont autant de fléaux qui réduisent au hasard la survie de la mère», écrit l’historienne Mireille Laget dans La césarienne ou la tentation de l’impossible, XVIIe et XVIIIe siècles. On ne sait pas si, dans son incroyable réussite, Jacques Nufer a eu de la chance. Il se peut en effet que la grossesse ait été extra-utérine, facilitant la récupération de l’opérée. Quoi qu’il en soit, les écrits retraçant ses exploits semblent se délecter de la survie improbable d’Elisabeth Alepaschin, autant que des cinq grossesses – dont une gémellaire – qui suivront l’heureux événement.
Seulement post mortem
Entourée de légendes, la césarienne fait partie de l’histoire de l’humanité depuis des temps immémoriaux. On raconte que Dionysos, dieu de la vigne dans la mythologie grecque, ou encore Asclépios, le fils d’Apollon, seraient nés de la sorte. Quant à Jules César, dont le nom est pourtant indissociable de l’opération, il y a fort à parier que le mythe, véhiculé par Pline l’Ancien, ait surpassé la réalité. Si elle était déjà pratiquée à cette époque, la césarienne n’était en effet réalisée que sur des mères mourantes ou post mortem. Il aurait donc été impossible à Aurelia Cotta d’être en mesure d’entendre les récits d’invasion de son empereur de fiston, comme les livres le rapportent pourtant.
«Durant l’Antiquité, il y avait plusieurs raisons de pratiquer des césariennes, explique Jacqueline Wolf, professeur d’histoire de la médecine à l’Université de l’Ohio. L’une d’elles était liée à une question d’héritage. Sans descendant vivant, l’argent possédé par la mère n’était pas remis au mari, mais à son plus proche parent.» La Lex Regia, au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, imposait par ailleurs la césarienne, car on ne pouvait inhumer la mère sans que le fœtus ait été extrait. Quant à l’Eglise catholique, elle encourageait cette pratique au Moyen-Age afin de pouvoir procéder au baptême de l’enfant.
Sacrilège
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, ouvrir le ventre d’une femme vivante était encore profondément considéré, y compris par les médecins, comme un sacrilège, tant le taux de réussite était faible. «Même durant le XIXe siècle, la mortalité avoisinait les 90%, c’est pourquoi les chirurgiens évitaient cette procédure, ajoute Jacqueline Wolf, auteure de Cesarean Section, An American History of Risk, Technology and Consequence. A la césarienne, on préférait encore pratiquer une craniotomie, à savoir la destruction du crâne de l’enfant in utero afin de parvenir à sortir le fœtus.» Les cas de succès de césariennes à vif sont néanmoins plus fréquents au cours de cette période, et les chirurgiens, enhardis, se plaisent à se quereller quant à la place de l’incision, sur la pertinence de réaliser, ou non, une ablation de l’utérus ou sur l’importance de le suturer.
Il faudra attendre la généralisation des antibiotiques, en 1940, mais aussi l’amélioration des conditions d’asepsie, ou encore les progrès de l’anesthésie, pour que l’intervention devienne enfin plus sûre. Restée marginale jusque dans les années 70, la césarienne, qui concerne plus d’une naissance sur trois en Suisse, est aujourd’hui l’une des opérations les plus pratiquées au monde.