Au fond du lac (2/4)
Déclarées éteintes pour certaines, des macro-algues et une sous-espèce de truite revivent dans les plans d’eau helvétiques. Un signal positif pour la biodiversité et la qualité du milieu, qui surprend les scientifiques

Chaque jeudi de l'été jusqu'au 25 juillet, «Le Temps» s'immerge dans quelques plans d'eau suisses pour aller en dénicher épaves et autres secrets de la vie subaquatique.
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Les écosystèmes des lacs suisses recèlent encore quelques surprises. Les découvertes faites par Pascal Mulattieri durant l’été 2017 en attestent. Mandaté par la Maison de la rivière à Tolochenaz (VD), centre spécialisé dans la gestion et la renaturation des milieux aquatiques, il a découvert une ancienne macro-algue. «C’était la surprise générale, se souvient-il. Je faisais des recensements subaquatiques en plongée quand je l’ai aperçue dans la région de Morges.» Hydrobiologiste de profession, Pascal Mulattieri l’a immédiatement identifiée comme une Tolypella glomerata. «C’est une espèce de characée qui avait disparu depuis plus de cent ans!» souligne-t-il.
Un bio-indicateur de santé
Les macro-algues sont visibles à l’œil nu. Elles font des tapis de 60 centimètres de hauteur et se répartissent sur le substrat. Cette espèce peut pousser jusqu’à une quinzaine de mètres de profondeur et représente «des zones refuges pour toutes sortes d’invertébrés, comme des escargots ou des moules, mais aussi différents poissons qui viennent pondre sur les herbiers, se réjouit Jean-François Rubin, directeur de la Maison de la rivière. Mais surtout, c’est un bio-indicateur de la bonne santé du milieu aquatique.»
La Tolypella glomerata est une plante pionnière, qui aime les eaux claires et peu chargées en substances nutritives. Or, des polluants ont été déversés dans les lacs suisses depuis les années 1950. «On ne traitait pas les eaux usées, pointe Pascal Mulattieri. Nos lacs avaient des teneurs importantes en nitrate et en phosphate. Elles ont engendré une transformation des communautés et ont appauvri la diversité de nos lacs.»
Par ailleurs, la présence de plusieurs algues microscopiques empêchait la lumière de parvenir jusqu’aux profondeurs, où vivent ces espèces. La mise en place, fin des années 1980, des stations d’épuration sur les bassins-versants a permis de traiter les eaux et de diminuer leurs teneurs en nutriments. Mais alors comment ces plantes ont pu réapparaître? «Les graines sont toujours dans le substrat: dès que les conditions sont favorables, elles se mettent à germer. Aujourd’hui, elles prolifèrent.»
Les cartes redistribuées
D’autres espèces de characées ont ainsi fait leur retour, comme la Chara aspera en 2015, dans la région valaisanne. «Mais aussi dans le lac de Constance, dans le lac de Bienne et dans le lac des Quatre-Cantons», affirme l’hydrobiologiste.
Ces développements ont également été favorables aux poissons. Ainsi, une sous-espèce de truite, pourtant déclarée éteinte depuis 2008 par l’Union internationale pour la conservation de la nature, a été repérée en 2015 par l’Institut fédéral suisse des sciences et technologies aquatiques (Eawag), dans le Bodensee. «La Salvelinus profundus vivait exclusivement dans ce lac et était souvent pêchée jusque dans les années 1960» avant de disparaître, rappelle l’institut de recherche sur l’eau.
Protéger les 30 espèces de poissons
Mais l’environnement évolue rapidement et pour Jean-François Rubin, l’avenir de la plupart des espèces vivant dans les lacs suisses est incertain. «Avec le réchauffement climatique, les cartes sont redistribuées. Certaines espèces sont favorisées par ce changement de température, comme les cyprinidés (les poissons de la famille de la carpe), et d’autres non, comme la famille des salmonidés (saumon, truite, omble* chevalier).»
Pour rappel, 60 espèces de poissons vivent en Suisse, dont une trentaine dans le Léman. «Pour conserver l’existant, il ne faut pas travailler sur les animaux, mais conserver leurs habitats», martèle le directeur de la Maison de la rivière. Il partage au passage une autre découverte qui laisse songeur: «On a retrouvé aux Etats-Unis des œufs de crevettes qui dataient du temps des dinosaures. Remis en eau, les animaux ont pu éclore. Il n’est pas exclu que cela soit possible pour les crustacés présents dans le Léman.»
* Correction apportée le 11 juillet: le mot «omble" avait été mal orthographié par erreur. Merci au lecteur qui nous l’a signalé!