Le scandale des «fermes à sang» en Argentine et en Uruguay avait fait grand bruit en 2017. La presse internationale relayait alors l’enquête de deux associations, la zurichoise Tierschutzbund Zürich (TSB) et l’allemande Animal Welfare Foundation (AWF), sur les mauvais traitements infligés à des juments pour la production d’une hormone: eCG (hormone chorionique gonadotrope équine). Cette substance, commercialisée par des laboratoires pharmaceutiques, est utilisée dans l’élevage de porcs ou de bœufs en Europe pour synchroniser et programmer les naissances des bêtes.

Pour extraire cette molécule, jusqu’à dix litres de sang sont prélevés une à deux fois par semaine, durant plus de deux mois, sur des juments en gestation. Lorsque l’hormone n’est plus produite, l’animal est avorté, puis de nouveau fécondé. Le processus s’accompagne de mauvais traitement et dure souvent jusqu’à l’agonie, affirmaient les ONG de défense des animaux, diffusant des scènes de juments frappées à l’aide de bâtons, épuisées, blessées ou mourantes.

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Bourse de 150 000 francs

Ces images ont choqué Jane Beil-Wagner et son équipe, de l’Université de Zurich. La spécialiste en biologie moléculaire de 31 ans travaille depuis 2017 à une méthode pour développer l’hormone eCG de manière artificielle en laboratoire, et épargner les juments. «Nous espérons pourvoir mettre sur le marché, dès 2020, un produit standardisé, éthique et durable, réalisé sans exploitation animale», explique-t-elle. Ce projet fait partie d’un nouveau programme de l’Université de Zurich – le BioEntrepreneur-Fellowships – destiné à soutenir l’innovation dans la recherche biomédicale et les sciences de la vie.

Présentée mercredi, cette bourse vise à créer un pont entre la recherche et le marché pour transformer les découvertes et les innovations technologiques en produits ou en services commercialisables. «L’excellence de la science n’est pas tout. L’université a aussi comme objectif d’être utile à la société», souligne la direction de l’institution zurichoise.

Les projets sélectionnés reçoivent 150 000 francs en provenance du fonds de l’université pour les sciences de la vie (Life Sciences Fund). Durant dix-huit mois, les doctorants ou post-doctorants ont accès à l’infrastructure nécessaire à leur recherche, mais aussi à une formation à la création d’entreprise ainsi qu’à un réseau d’experts de l’industrie pour les accompagner. «Nous, scientifiques, nous ne sommes pas très doués pour le business. Ce programme nous prend par la main», explique Jane Beil-Wagner. Depuis son lancement en 2017, il a aidé quatre projets à voir le jour.

Dans le cerveau des prématurés

Parmi eux: l’OxyPrem, développé par Stefan Kleiser. Ce dispositif en silicone se place sur le front des bébés prématurés après leur naissance. Il permet de mesurer en continu le taux d’oxygène dans le cerveau des nouveaux-nés en envoyant des rayons lumineux de différentes fréquences. Détecter un manque ou un excès d’oxygène permet de prévenir des dommages irréversibles chez ces nourrissons particulièrement vulnérables: handicap, aveuglement, ou encore paralysie. «Les outils de mesure existants sont trop imprécis», souligne Alexander Nitsch, membre de l’équipe de Stefan Kleiser. Sur 15 millions de prématurés dans le monde chaque année, près d’un million décèdent, faisant de la naissance avant le terme la première cause de mortalité chez les moins de 5 ans, rappelle le chercheur. L’an prochain, OxyPrem sera testé dans 90 cliniques de néonatologie, une étape cruciale avant un éventuel lancement sur le marché.

L’Université de Zurich entend développer le soutien aux jeunes pousses dans les domaines de la numérisation et des technologies médicales. Pour les dix prochaines années, elle peut d’ores et déjà compter sur une donation de 10,7 millions de la Fondation Werner-Siemens. En 2017, la fondation Life Sciences a reçu 27,5 millions de francs, dont 67% en provenance de fondations, 20% de privés et 13% d’entreprises. La diversification des sources de financement soulève des questions sur l’influence de tiers dans la recherche et renforce la nécessité de transparence dans la collaboration entre l’économie et l’université, reconnaît l’institution. L’Université de Zurich s’est ainsi dotée de nouvelles règles: dès 2019, les financements dépassant 100 000 francs devront être publics.