Sur son bureau trône une pomme verte en plastique. Richard Benton la manipule régulièrement tout en décrivant, dans un français parfait, son goût pour la recherche, l’émotion très forte que lui procure une découverte. Et cette impression rare et magique d’être seul au monde à détenir une nouvelle connaissance.

Intrigués mais polis, on attendra patiemment la fin de notre entretien pour lui demander ce que cet objet pour le moins incongru fabrique sur le bureau d’un chercheur de renommée internationale. «C’est un piège à mouches que j’ai commandé sur internet», nous confie, tout sourire, le biologiste, en nous décortiquant la breloque en question. On n’en attendait pas moins…

Un miroir de la vie

Entourée de laboratoires où bruissent des millions de drosophiles et s’activent quelques-uns de ses 14 collaborateurs, l’officine de l’Ecossais, qui reçoit ce vendredi matin à Berne le Prix Latsis national 2015, ressemble, à bien y regarder, à un miroir de sa vie. Des peintures et des photos de ses deux enfants de 8 et 5 ans, Lucie et Oscar; une illustration encadrée représentant une Isle of Knowledge entourée de sa Sea of Ignorance, métaphore, sans doute, de la vie de chercheur; et des mouches of course. Beaucoup de mouches. En plastique, dessinées, tournoyant dans de petits tubes… L’animal se décline sous toutes ses formes. Ultime clin d’œil: un tape-mouche repose sur une étagère, alors qu’une plante carnivore tente de survivre à l’agenda rempli du scientifique.

Nul doute: on fait face, ici, à un vrai passionné. Pourtant la science n’était pas l’amour originel de ce presque quadragénaire. Ses premiers émois, Richard Benton les a vécus au piano et en tenant l’archet de son violoncelle, alors qu’il était encore écolier. «Mes parents étaient tous deux médecins, mais ma mère jouait également du violon. Nous avions donc toujours de la musique à la maison». Paradoxe: s’il n’apprécie, de ses propres dires, pas vraiment d’en écouter, il se plaît par contre toujours à en jouer. «J’aime faire des choses de mes mains», explique-t-il. Une nuance de taille qui s’exprime dans un répertoire étendu, mais surtout classique. Beethoven en tête, «car c’est plus facile à relancer après un temps de pause». Les grands romantiques ensuite, Schumann, Schubert et Brahms, pour la musique de chambre. Une pointe de baroque, du Chostakovitch parfois.

Dans le monde souvent cloisonné des chercheurs, c’est aussi grâce à la pratique d’un instrument qu’il rencontre sa femme, la suissesse Sophie Martin, elle-même violoniste et professeure associée au département de microbiologie fondamentale de l’Université de Lausanne. C’était à New York, alors qu’il travaillait comme post-doctorant à la Rockefeller University. Ensemble, ils ont même joué au sein d’un orchestre de Big Apple. «C’était l’occasion de rencontrer de vrais New-yorkais. Le milieu de la recherche scientifique étant très international, il est parfois difficile de s’intégrer dans la communauté locale.»

On ose la question intime: n’est-ce pas trop difficile de parler d’autre chose que de biologie moléculaire à la maison? «C’est vrai qu’au début on évoquait beaucoup nos recherches. A présent, nous partageons d’avantage nos expériences réciproques en tant que chefs de laboratoires. Cela nous aide à résoudre certains défis inhérents à ce genre de postes.»

Face à la musique, la science s’inscrit néanmoins très tôt comme une évidence. Etudiant en biologie à l’Université de Cambridge, Richard Benton aiguise son intérêt pour la recherche suite à la lecture de la biographie de Seymour Benzer, pionnier de neurogénétique et premier scientifique à avoir utilisé la drosophile pour établir des liens entre les gènes et le comportement. «J’étais alors au début de ma carrière. Sachant que je travaillais aussi sur cet insecte, ma mère m’a offert ce livre à Noël pour la simple raison qu’il y avait une belle image de mouche sur la couverture. Je l’ai dévoré en une journée. Cet ouvrage a inspiré beaucoup de chercheurs, car on y voit notamment la vie de l’homme derrière les avancées scientifiques.»

Aujourd’hui, le Britannique étudie la façon dont les signaux chimiques contrôlent le comportement des insectes et les poussent à l’action, en traçant le parcours des messagers chimiques depuis leur nez jusqu’au cerveau. Le jeune professeur et ses collègues sont ainsi parvenus à identifier des molécules activatrices de la parade nuptiale chez les drosophiles, contenues dans un grand nombre de fruits.

De nature fondamentale, les recherches menées à l’Université de Lausanne pourraient également avoir des applications pratiques particulièrement intéressantes, en permettant par exemple d’interférer avec certains comportements nuisibles des insectes dans la nature. On pense ici à Drosophila suzukii qui s’attaque aux cultures de raisins et de fraises, ou encore aux petites bestioles hématophages comme le moustique, qui se fient à l’odorat pour trouver leur hôte, et s’avèrent parfois vectrices de maladies humaines telles que la malaria ou la dengue. «On pourrait imaginer créer des pièges olfactifs en trouvant des odeurs extrêmement attirantes pour ses insectes ou développer de nouveaux types d’insectifuges», détaille Richard Benton.

«Mon odorat est assez faible»

Reste une interrogation: pourquoi donc s’être intéressé à l’odorat en particulier? L’homme de sciences serait-il lui-même fin nez? «On s’attend souvent à ce que je sois un expert à ce niveau, mais je dois avouer que mon odorat est assez faible. Plus sérieusement, il s’agit d’un sens très complexe, fondamental pour de nombreux insectes et très important pour l’homme. De plus, bien que le nez de la drosophile soit plus simple que le nôtre, la perception des odeurs est très similaire à celle des humains. Cela peut donc nous aider à mieux comprendre les circuits neuronaux de cerveaux plus complexes.»

Loin de la vision carrée et poussiéreuse que l’on colle trop souvent à la vie de chercheur, Richard Benton casse résolument les codes. «J’aime l’idée d’être libre. D’explorer ce que je veux, sans avoir de chef qui me dise quoi faire. La recherche permet de trouver son propre chemin au sein d’une carrière qui stimule la créativité.» Pas si éloignée de celle d’un artiste, en fin de compte.


Biographie en quelques dates

1977 Naissance à Edimbourg, en Ecosse.
2003 Doctorat en biologie à l’Université de Cambridge.
2003-2007 Post-doctorat dans le laboratoire de Leslie Vosshall à l’Université de Rockefeller, New York.
2007 Nommé Professeur assistant au Centre de intégratif de génomique de l’Université de Lausanne, puis professeur associé en 2012.