T-rex, une colossale exposition à Paris
PALÉONTOLOGIE
TRIX, un spécimen femelle du mythique T-rex, est la vedette d’une exposition présentée tout l’été dans la capitale française. Elle fait revivre la fabuleuse épopée de ce super-prédateur, «roi des lézards tyrans», qui régnait il y a 67 millions d’années sur ce qui est aujourd’hui l’Amérique du Nord

Soudain, vous voilà face à un T-rex de plus de 12 mètres de long: gueule béante, tête baissée, il est prêt à l’attaque. Vous êtes à moins d’un mètre des puissantes mâchoires, armées de redoutables poignards. Trop tard pour fuir
Pas de panique. Ce n’est qu’un squelette! Mais un authentique squelette – non un moulage – aux trois quarts intact. Une rareté. Il s’agit du troisième squelette le plus complet de T-rex jamais découvert; et du premier squelette original quittant les Etats-Unis. Le puzzle de ses 250 pièces vient d’être assemblé au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), au jardin des Plantes à Paris. La créature, nommée TRIX, a les honneurs d’une exposition, du 6 juin au 2 septembre.
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Depuis que les premiers restes de T-rex ont été découverts, en 1902 aux Etats-Unis, ce «roi des lézards tyrans» n’a cessé de susciter une fascination mêlée d’effroi. «Sortant du brouillard, le Tyrannosaurus rex avançait. Il ressemblait ainsi à un gigantesque dieu du mal», raconte l’écrivain Ray Bradbury dans ses Chroniques martiennes (1952). Prodige de grâce et de dynamisme, le montage du Muséum ressuscite ce colosse, qui fut le maître d’un monde antédiluvien, il y a 67 ou 68 millions d’années.
Trois mois pour la déterrer
TRIX est une imposante femelle: 12,5 mètres de long, 4 mètres de haut, 8 tonnes de son vivant. Elle a été exhumée des sous-sols du Montana (Etats-Unis), dans la formation géologique de «Hell Creek» (grès tendre et argile), célèbre pour sa richesse en fossiles.
Sa dépouille a été découverte en 2013 par une équipe du Naturalis Biodiversity Center, à Leiden (Pays-Bas). Il a fallu aux chercheurs deux ou trois mois pour la déterrer, mais trois ans pour nettoyer, réparer et reconstruire avec minutie son ossature. Ne lui manquent que la patte arrière gauche, les pieds et des portions de vertèbres. Ces os manquants ont été scannés à partir d’un autre fossile, puis imprimés en 3D.
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Cette «vieille dame» est la doyenne des T-rex connus. Elle avait atteint l’âge canonique de 28 à 32 ans, suggère l’analyse de son tissu osseux. Lors de son existence mouvementée, TRIX a subi bien des vicissitudes. Quatre de ses côtes ont été fracturées. Les vertèbres de sa queue portent des traces de prolifération osseuse: une arthrose? Sa mâchoire inférieure présente de gros trous, stigmates d’une morsure par un autre tyrannosaure. Dans sa mâchoire inférieure, une grave infection a rongé l’os. Toutes ces blessures ont cicatrisé: elles n’ont pas causé la mort de cette reine.
Fin d’un mythe: «Jurassic Park», où l’on recréait un dinosaure à partir de son ADN conservé dans de l’ambre, avait tout faux
Comment sait-on que TRIX était une femelle? Vous répondez: par l’analyse de son ADN? Erreur fréquente et fatale. L’ADN est trop fragile. «Le plus ancien ADN fossile date de 800 000 ans», assure Ronan Allain, commissaire de l’exposition et paléontologue au MNHN. Fin d’un mythe: «Jurassic Park», où l’on recréait un dinosaure à partir de son ADN conservé dans de l’ambre, avait tout faux.
On pense que TRIX était une femelle en raison de la robustesse de ses os. «Le fémur des dinosaures femelles comporte, dans sa cavité médullaire, un tissu fortement minéralisé. En période de ponte, ce tissu sert de réservoir de calcium pour la formation de la coquille des œufs. Il existe un système analogue dans le squelette des oiseaux», explique Ronan Allain. Mais ce mode d’estimation du sexe des dinosaures fait toujours débat.
Prédateur ou charognard?
L’exposition du Muséum invite d’abord à une promenade dans l’univers des tyrannosaures. En ce temps-là, le climat était chaud et humide. Il a favorisé la croissance d’une végétation luxuriante. Les plantes à fleurs, récemment apparues, proliféraient; elles côtoyaient fougères et grands conifères. L’exposition montre de précieux fossiles de ces végétaux. Le T-rex vivait alors exclusivement dans ce qui deviendra l’Amérique du Nord. Certains de ses cousins habitaient la future Asie. Mais aucun ne colonisait la future Europe.
Vous découvrirez un des «biftecks» favoris du féroce carnivore: un dinosaure géant à bec de canard géant, Edmontosaurus, herbivore. Le spécimen montré ici a été trouvé dans le Wyoming; long de 8 mètres, il dormait dans les caisses du Muséum depuis plus d’un siècle.
T-rex était-il un prédateur ou un charognard? Sans doute était-il opportuniste, chasseur avant tout, charognard à l’occasion. Vu sa taille, il devait engloutir d’énormes quantités de viande – au moins 80 à 100 kilos par jour. «On a récemment découvert que sa croissance était plus rapide que celle de tout autre animal. A l’âge de 8 ans, il gagnait 2 kilos par jour, soit 800 kilos par an!» s’étonne Ronan Allain. La conséquence d’un métabolisme hyperefficace.
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Vous pénétrez maintenant dans la deuxième salle. Là, le face-à-face avec le monstre vous fige de terreur. Amateurs de selfies, vous pourrez immortaliser cette rencontre improbable. Du haut de ce crâne, 68 millions d’années vous contemplent – l’air féroce et vorace. Une des choses qui frappent, dans ce squelette, c’est l’incroyable disproportion entre les membres postérieurs, démesurés, et les membres antérieurs, très atrophiés. «C’est une blague récurrente à propos du T-rex: on le montre incapable de téléphoner, d’ouvrir ses cadeaux de Noël…», s’amuse Ronan Allain. La fonction de ces bras minuscules fait toujours débat. Peut-être aidaient-ils ce géant – bipède - à se relever.
«Machines à combattre»
Ludique, la troisième salle offre des jeux interactifs, car face au T-rex, nous restons tous de grands enfants. Comment séduire un T-rex? Vous mimerez la parade nuptiale de ces mastodontes. Comment échapper à son attaque? Vous pédalerez pour tenter de fuir. Au passage, vous apprendrez que T-rex n’était pas un rapide: il ne dépassait guère les 20 à 30 km/h. Peut-être chassait-il en meute.
A sa façon, T-rex était un cerveau. Son encéphale reconstitué est d’une taille proche du nôtre – mais d’une forme tourmentée. Ses bulbes olfactifs, hyperdéveloppés, témoignent d’un formidable odorat – il pouvait sentir jusqu’à 15 kilomètres de distance. Sa vision aussi était exceptionnelle. «Avec ses yeux situés vers l’avant du crâne, il disposait d’une vue stéréoscopique, en 3D», indique Ronan Allain.
Loin d’être des créatures «primitives, à la structure anatomique grossière», ces reptiles géants étaient, «au contraire, des animaux parfaitement profilés, puissants et très bien agencés: des machines à combattre (et à dévorer), épurées et redoutables», jugeait en expert le paléontologue américain Stephen Jay Gould (Les pierres truquées de Marrakech, 2002).
D’où vient alors leur disparition? D’une triple catastrophe, à la fin du Crétacé. Il y a 66 millions d’années, une énorme météorite a chuté sur Terre, entraînant un nuage de poussières qui a obscurci l’atmosphère et provoqué des pluies acides; un volcanisme intensif a sévi durant 800 000 ans; un réchauffement climatique a parachevé ce désastre. «Comme tous les super-prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire, T-rex, hyperspécialisé, fut parmi les premières victimes de ce changement environnemental drastique», explique Ronan Allain. Un colosse aux pieds d’argile, donc, malgré – ou à cause de – sa démesure.
T-rex aura donc vécu un à deux millions d’années avant de disparaître, il y a 66 millions d’années. Un «échec» évolutif? Le règne des dinosaures, au total, a duré 165 millions d’années. L’homme moderne, lui, ne compte «que» 300 000 années d’existence. De quoi rester humble.