Une nouvelle crise secoue le Human Brain Project
Politique scientifique
Le grand projet européen de recherche sur le cerveau fait face à la démission de son directeur exécutif, sur fond de divergences avec l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, qui pilote le programme

Décidément, le Human Brain Project (HBP) est un navire bien difficile à gouverner. Son directeur exécutif Christoph Ebell a démissionné le jeudi 16 août. Il occupait également la direction du bureau de coordination. «Les parties se séparent d’un commun accord suite à un changement de leadership universitaire et à des différends sur la gouvernance et la stratégie du HBP», peut-on lire dans un communiqué émanant du principal intéressé et du pilote du projet, l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
Dans le Landerneau des neurosciences, la nouvelle n’a pas surpris – même si personne, y compris l’EPFL, ne souhaite officiellement s’exprimer sur ce sujet sensible. «Chris Ebell n’avait pas assisté à plusieurs réunions stratégiques depuis le mois de juin, officiellement pour cause de burn out, glisse une source contactée par Le Temps. Il se dit en interne qu’il était surtout lassé des problèmes d’organisation inhérents au HBP.» «Nous avons appris la nouvelle de sa démission lors de discussions internes, sans justification de la part de l’EPFL. C’est d’une opacité totale», s’étonne un autre spécialiste. Répondant à nos sollicitations, Chris Ebell se contente de dire qu'il «se consacre désormais à des projets professionnels liés au calcul à haute performance, ainsi qu'à la création d'une entreprise de consulting et de capital-risque».
Morceau de sparadrap
Ces problèmes d’organisation et de gouvernance sont comme le bout de sparadrap collé au doigt du capitaine Haddock: on ne s’en débarrasse pas aussi facilement que prévu. Choisi par l’Union européenne en 2013 comme l’une des deux initiatives phares européennes (FET Flagships), ces projets «jackpot» à 1,2 milliard d’euros de budget répartis sur dix ans, le HBP visait initialement à reproduire sur ordinateur le fonctionnement du cerveau humain. Cent seize partenaires, 800 chercheurs répartis dans 19 pays… Un projet grandiose, un peu fou, trop peut-être.
Ce n’est rien de dire que les débuts du HBP ont été houleux. En juillet 2014, soit quelques mois à peine après son lancement, près de 800 neuroscientifiques cosignaient une lettre ouverte adressée à la Commission européenne dans laquelle ils émettaient de vives critiques quant à l’organisation de ce projet pharaonique. Sur le plan scientifique, les signataires s’inquiétaient de la vision «étroite» du projet, dont le comité exécutif avait auparavant écarté les neurosciences cognitives fondamentales, provoquant un tollé.
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Sur le plan administratif, c’est encore ce comité qui cristallisait les griefs. Jugé autoritaire, ce triumvirat réunissant Richard Frackowiak, du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Karlheinz Meier, de l’Université de Heidelberg, et surtout le charismatique et controversé Henry Markram, de l’EPFL, était accusé d’avoir créé une machinerie décisionnaire trop complexe et trop opaque quant aux attributions des financements. Le comité a été dissous quelques mois plus tard et le projet revu en profondeur, privilégiant la mise sur pied de plateformes scientifiques (des bases de données en neuroinformatique, en simulation de réseaux de neurones, etc.) devant fournir des outils et services utiles aux neurosciences européennes.
Où est le cerveau?
C’est à la suite de ce fiasco que Christoph Ebell a été nommé à la tête du HBP en 2015. Sa prise de fonction s’annonçait épineuse malgré le «soft reboot» effectué. Et pas uniquement puisqu’il s’était fait un ennemi en la personne du déchu Henry Markram, qui ne lui adressait pas la parole d’après des sources concordantes, mais peut-être parce que ce HBP version 2.0 était encore trop empreint d’informatique au détriment des neurosciences. «Où est le cerveau dans le Human Brain Project?» s’interrogeait ainsi la revue Nature dès septembre 2014.
«Le HBP, véritablement interdisciplinaire à ses débuts, s’est vu progressivement dominer par les sciences de l’ingénieur, regrette un professeur du domaine. En pensant aux applications avant de comprendre le fonctionnement du cerveau, on a mis la charrue avant les bœufs.» Est-ce de cette dissonance qu’auraient germé les différends entre Christoph Ebell et l’école lausannoise? Ce n’est qu’une hypothèse parmi tant d’autres.
«Ne pas faire de vagues»
Reste la question de l’avenir du HBP, qui a signé un accord spécifique de subvention avec la Commission européenne en mai dernier. Celui-ci prévoit un financement à hauteur de 88 millions d’euros pour la période 2018 à 2020. «Il ne devrait pas se passer grand-chose: le but est surtout de ne pas faire de vagues», estime une source anonyme. Les études en cours ne devraient pas être bouleversées, le poste de Chris Ebell étant avant tout administratif. «Les équipes de recherche poursuivront leur travail, le calendrier des travaux scientifiques ne sera donc pas affecté par ce départ», assure Emmanuel Barraud, chargé de communication à l’EPFL. En attendant, c’est Christian Fauteux, actuel directeur exécutif adjoint, qui assurera l’intérim.
Le HBP sera bientôt évalué sur ses publications scientifiques et sur l’utilisation effective de ses plateformes technologiques par les neuroscientifiques européens. Le verdict sera-t-il à la hauteur des espoirs suscités en 2013? C’est encore tôt pour en juger. Il reste quelques années au HBP pour l’affirmer.