SMOS: le cycle de l’eau sous surveillance satellite
Espace
Le satellite européen a été lancé avec succès tôt ce matin depuis la base russe de Plessetsk. Son rôle: cartographier l’humidité des sols et la salinité des océans.
H2O. La célèbre molécule est partout à la surface de la Terre, salée (97%) ou douce (3%). Elle circule, ruisselle, s’infiltre, se stocke sous toutes ses formes dans tous les compartiments de la planète (océans, continents, atmosphère). Et sert autant à nourrir les hommes qu’à fertiliser les sols et faire pousser la végétation. Bref à maintenir la vie. «Mais le cycle détaillé de l’eau reste mal connu, estime Yann Kerr. D’autant qu’il est désormais altéré par cette bombe à retardement qu’est le réchauffement climatique». Le chercheur du Centre d’étude spatiales de la biosphère (CESBIO), à Toulouse, avait pourtant de quoi se réjouir tôt lundi matin: depuis la base russe de Plesetsk, l’Agence spatiale européenne (ESA) a lancé avec succès, à bord d’un lanceur Rockot, son deuxième satellite de son programme « Explorateurs de la Terre », SMOS (pour Soil Moisture and Ocean Salinity) s’est placé sur son orbite située à 758 km d’altitude, d’où il scrutera la Terre, avec deux missions.
La première consistera donc à quantifier aussi précisément que possible l’humidité contenue dans les sols. Une tâche loin d’être triviale, car les molécules d’H20 peuvent s’y lier à d’autres éléments chimiques, se répartir à diverses profondeurs, et bien sûr varier en fonction des précipitations, du type de végétation, ou des propriétés du terrain. Grâce aux données collectées, «nous pourrons améliorer nos modélisation météorologique et hydrologique à court et moyen terme, mais aussi contribuer à la prévision des événements extrêmes comme les inondations», a expliqué Susanne Mecklenburg, manager de la mission, quelques jours avant le lancement.
Courants marins
Autre élément crucial dans l’évolution du climat: les courants marins, dont l’un, le Gulf Stream, est par exemple la raison du climat tempéré qui prévaut en Europe. Or ces gigantesques mouvements d’eau, comparés à des « tapis roulants», sont entretenus par un moteur naturel: la différence de salinité des couches liquides. Que ce gradient de salinité se modifie trop, par exemple suite à une trop grande évaporation locale due à un réchauffement exagéré, et c’est toute cette circulation dite «thermohaline» qui risque d’être chamboulée. SMOS aura donc pour seconde tâche de mesurer les variations du taux de sels dans l’eau superficielle des océans, dont la moyenne vaut 35 grammes par litre. En cumulant 30 jours de mesures, l’engin sera capable de les détecter au dixième de gramme près.
Comment? Devisé à 335 millions d’euros, le satellite est une merveille de technologie qui a nécessité 17 ans de développement. Une fois à son poste, il a déployé son antenne révolutionnaire. Ou plutôt ses antennes: 69 petits récepteurs sont disposés sur trois bras formant un Y qui se sont ouverts dans l’espace. Ils constituent ce que les scientifiques appellent un radiomètre interférométrique à microondes (1,4 GHz): cet instrument, baptisé MIRAS, va mesurer l’énergie émise sous forme de rayonnement électromagnétique par la Terre, à l’image de nos yeux qui voient le rayonnement émis par le filament d’une ampoule allumée. Or ce rayonnement varie en fonction des propriétés des différents matériaux terrestres. Les chercheurs vont traquer dans leurs mesures les infimes perturbations liées à la présence d’eau sous toute ses formes, respectivement à la salinité. Et si SMOS y parviendra avec une si grande précision, c’est justement parce que ses 69 «yeux» travailleront de concert.
Contribution suisse
Relier tous les signaux qu’ils capterons en une seule information cohérente et interprétable a nécessité l’utilisation d’une complexe technologie, assurée grandement par la Suisse. La firme Ruag Space (anciennement Oerlikon Space) a développé un système de transmission de données par fibres de verre, «une première sur un satellite européen», selon un communiqué de la société, qui précise: «Ce système optique a l’avantage de ne pas comporter de câbles électriques susceptibles de gêner le mécanisme complexe de déploiement de l’antenne et de perturber les récepteurs ultrasensibles par des émissions électromagnétiques».
Ruag Space a aussi développé la structure en fibre de carbone supportant le module de charge utile, le tout pour un contrat de 3.5 millions d’euros. Une autre société suisse a profité d’un contrat sur ce projet (pour 1.8 millions d’euros): APCO Technologies, à Vevey, a mis au point des équipements techno-mécaniques de soutien au sol, avant le lancement. Enfin, des physiciens de l’Université de Berne aux développés trois radiomètres identiques à celui de SMOS, mais qui seront exploité au sol, et serviront à valider les données du satellites et à améliorer les algorithmes servant à extrapoler l’humidité des sols.
Dans la communauté des scientifiques non directement impliqués dans cette aventure, nombreux sont néanmoins ceux qui attendent les premiers résultats que fournira SMOS. L’un d’eux, Ignacio Rodriguez-Iturbe, professeur en ingénierie environnementale à l’Université de Princeton (lire l’encadré), s’intéresse aux facteurs cruciaux qui déterminent la diversité des formes de vie sur Terre, parmi lesquels la capacité de maintien d’un habitat et les mécanismes de dispersion des espèces. Or ces deux facteurs s’avèrent liés au cycle de l’eau. « Avec SMOS, nous pourrons étudier de manière globale les flux d’eau et d’énergie associés à l’évaporation du sol et à l’évapotranspiration des plantes. Cela nous sera d’une aide considérable pour mieux comprendre la dynamique de l’humidité dans les sols et le fonctionnement de différents écosystèmes », se réjouit le professeur, qui devra toutefois attendre le printemps 2010, date à laquelle ces premières données seront disponibles.