Soins palliatifs: «L’intérêt est pour la vie»
Santé
Transfuge de Munich, Gian Domenico Borasio arrive au CHUV précédé d’une réputation d’excellence. Le médecin «qui a rendu la mort plus supportable en Allemagne» se réjouit d’être en Suisse, dans un contexte «favorable à l’innovation». Portrait d’un professionnel appelé à peser sur le débat public à propos des conditions de la fin de la vie
Trace du récent déménagement, un ultime carton traîne dans un coin du bureau 4022 au 4e étage de l’Hôpital Nestlé, sur le site hospitalo-universitaire de Lausanne. Transfuge de la clinique Grosshadern à Munich, Gian Domenico Borasio arrive au CHUV précédé d’une réputation d’excellence dans sa discipline, la médecine palliative. La chaire universitaire en soins palliatifs dont cet Italien originaire de Milan est le nouveau titulaire depuis un mois est la seule dans le paysage académique helvétique.
«Un cappuccino?» demande le médecin au sourire juvénile sur le seuil de son bureau tout ce qu’il y a de plus fonctionnel. Le nouveau venu commence à trouver ses marques. Il le sait, les attentes sont élevées. La médecine palliative compte parmi les quelques disciplines que les autorités sanitaires vaudoises – le conseiller d’Etat Pierre-Yves Maillard et le directeur général du CHUV Pierre-François Leyvraz – veulent renforcer dans l’hôpital universitaire et le réseau. Un décret du Grand Conseil a été voté dans ce sens en 2002.
A Munich, une pluie d’hommages et de regrets ont accueilli l’annonce du départ du professeur établi en Bavière depuis 30 ans. La presse nationale a déploré la perte du «médecin qui a rendu la mort plus supportable en Allemagne». On a loué «la sagesse» de l’expert qui conseillait le Bundestag «en finesse et avec clairvoyance». Droits des patients en fin de vie, directive sur le suicide médicalement assisté: le professeur Borasio a su désamorcer les réflexes dogmatiques et inspirer confiance par sa compétence et son approche exigeante mais tout en nuances. Il a rédigé lui-même des morceaux de lois allemandes aujourd’hui en vigueur, notamment celle rendant obligatoire la formation aux soins palliatifs de tous les étudiants en médecine. «C’est le résultat dont je suis le plus fier car l’impact potentiel est maximal et durable.»
A Munich, Gian Domenico Borasio a créé et développé un «centre interdisciplinaire pour la médecine palliative». Il y a fait coopérer médecins, soignants, assistants sociaux et acteurs des champs religieux et spirituels. Dans les milieux spécialisés, la méthode a été décrite comme «révolutionnaire»: jamais auparavant les soins palliatifs n’avaient été envisagés dans une perspective si globalisante.
Au fil de la discussion, le professeur évoque avec force détails ce qui est devenu sa mission: écouter et entendre le patient condamné par une maladie incurable. Au détour d’une phrase, il saisit une photo posée sur son bureau qui le montre en discussion avec une vieille dame: Cicely Saunders, la pionnière des soins palliatifs aujourd’hui disparue. «A la fois infirmière, médecin et assistante sociale, elle a été un exemple pour moi. Je la tiens pour une figure mythique de la médecine du XXe siècle.» En 1939, cette Britannique théorise la nécessité de changer de regard face à la maladie incurable et la «douleur totale»: la lutte contre la maladie bascule au second plan; le confort physique, moral, relationnel et même spirituel du patient prime.
Gian Domenico Borasio cite maintenant un vers célèbre du poète Rainer Maria Rilke: «O, Herr, gib jedem seinen eigenen Tod» (Seigneur, donne à chacun de vivre sa propre mort). Il souligne: «Je me bats pour que soit reconnue cette dimension individuelle de la mort. Il n’y a pas de belle mort que prescrirait la société, la famille ou un médecin. La mort doit être celle que souhaite le patient.»
Or le droit de choisir suppose une autonomie et l’existence d’alternatives. «Le but des soins palliatifs est précisément d’offrir cette capacité à exercer le plus longtemps possible son potentiel d’homme. On élargit l’espace du malade», précise le docteur Borasio. Puis il tient à dissiper un malentendu répandu: «Les soins palliatifs ne sont pas des soins pour mourir, les 24 dernières heures. Ce sont des soins pour la vie, qui doivent commencer dès l’annonce de la maladie incurable.»
A propos d’Exit et de Dignitas, qui proposent le suicide médicalement assisté et dont le succès en Suisse lui est connu, il a ce commentaire ferme: «Ces organisations n’ont pas le monopole de la définition des conditions dignes de la fin de la vie.»
Jeune diplômé en neurologie, le Munichois d’adoption a d’abord embrassé une carrière de chercheur en laboratoire. Au Max-Planck-Institut, il s’est spécialisé sur une maladie neurodégénérative rare, la sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot, dont souffre notamment le célèbre astrophysicien anglais Stephen Hawking. La paralysie progressive des extrémités (membres, visage) conduit à la mort quand elle atteint le diaphragme. Les facultés cognitives ne sont atteintes à aucun moment, si bien que le patient est le témoin lucide de son affaiblissement jusqu’à la mort qui intervient normalement dans un délai d’environ trois ans.
La recherche n’avançait pas. «Devant cet échec, je me demandais ce que je pouvais offrir aux malades qui acceptaient de se soumettre à mes expériences.» Il explore alors une série de mesures simples, notamment la ventilation non invasive qui soulage les troubles du sommeil. Les résultats sont bons. «Je faisais de la médecine palliative sans le savoir. Un ami médecin m’y a rendu attentif.» Ce fut le déclic.
En Suisse, les pratiques de soins palliatifs sont très hétérogènes, observe Gian Domenico Borasio. Il salue la volonté récemment exprimée par la Confédération et les cantons de renforcer ce pilier de la santé. La «Stratégie nationale pour la médecine palliative» déploiera des effets positifs ces deux prochaines années. Un Programme national de recherche sur la fin de vie, doté de 15 millions de francs, promet des travaux ambitieux dès 2012. «Le contexte est favorable aux initiatives et à l’innovation», se réjouit le spécialiste.
Pour commencer, le CHUV ouvrira en mai une unité de lits de médecine palliative. On y testera, au niveau des soins aigus, une approche «réhabilitative». L’objectif est de favoriser le retour du patient à la maison une fois la crise surmontée. Une première dans un hôpital universitaire suisse.