Zoologie
Les tortues de mer retrouvent les plages de leur naissance grâce à leurs «coordonnées magnétiques.Un résultat qui vient compléter les connaissances sur leur énigmatique sens de l’orientation

Des tortues à guidage magnétique
Zoologie Les tortues de mer retrouvent les plages de leur naissance grâce à leurs «coordonnées magnétiques»
Un résultat qui vient compléter les connaissances sur leur énigmatique sens de l’orientation
Avec leur air pataud et leur allure paisible, les tortues marines reviennent inlassablement pondre sur les plages qui les ont vues naître. Observé depuis des siècles, le phénomène interroge sur leur sens de l’orientation, une énigme qui demeure imperméable aux explications scientifiques. «La façon dont les tortues de mer retrouvent les plages de leur naissance est un mystère que de nombreuses théories essaient d’expliquer», confirme John Roger Brothers, de l’Université de Caroline du Nord, à Chapel Hill. Ce biologiste et son équipe viennent d’ajouter une autre pierre à l’édifice dans une étude parue ce jeudi dans la revue Current Biology . D’après eux, ces reptiles tranquilles enregistreraient dès la naissance les coordonnées exactes de la plage où ils se trouvent grâce au champ magnétique terrestre.
La sensibilité de certains animaux au champ magnétique terrestre n’est pas un fait nouveau, de nombreuses espèces sont soupçonnées de disposer d’une boussole embarquée. Les pigeons et les oiseaux migrateurs sont capables de voler sur de longues distances pour délivrer un message ou construire un nid douillet. Deux fois par an, les papillons monarques traversent les Etats-Unis, parfois sur plus de 4000 kilomètres, pour aller se la couler douce au Mexique. Quant aux espèces marines, elles ne sont pas en reste. Outre les tortues de mer, les requins, les saumons, les baleines et certaines espèces de thon sillonnent les océans pour trouver des eaux plus propices.
«On savait déjà que les tortues se dirigent notamment grâce au champ magnétique terrestre lorsqu’elles sont en pleine mer. Mais on ignorait qu’elles l’utilisaient aussi sur de plus petites distances pour retrouver leur lieu de naissance», précise John Roger Brothers. Si l’on s’en tient à son raisonnement, les tortues tireraient un double profit du magnétisme: elles s’en serviraient comme d’une boussole donnant la direction générale à suivre, et aussi comme d’une carte géographique indiquant les coordonnées exactes des endroits recherchés. «La fonction boussole fait désormais consensus, explique Simon Benhamou, du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (Montpellier). Mais la fonction carte demeure largement discutée, car beaucoup plus difficile à démontrer expérimentalement.»
Cette hypothèse de la «carte magnétique» a été proposée en 2008 par Kenneth Lomann, l’un des coauteurs de la présente étude. «Notre raisonnement a été de dire que, si les tortues associent bien des coordonnées magnétiques à leurs plages de naissance, alors elles ne retourneraient pas exactement sur les mêmes plages en raison des variations naturelles du champ magnétique terrestre», raconte John Roger Brothers. En effet, ce champ n’est pas stable et subit des fluctuations au fil du temps: les coordonnées magnétiques d’une plage, représentées par l’intensité et la direction du champ, à l’année N, ne sont plus les mêmes à l’année N + 1. Pour prouver la validité de cette hypothèse, les biologistes ont étudié les très nombreux lieux de ponte des tortues caouannes sur la côte Atlantique de la Floride. Ils ont pour cela analysé des cartographies répertoriant les emplacements des nids sur une période de 19 ans. Sur des intervalles de deux à trois ans, soit le temps que mettent les caouannes pour revenir pondre, les biologistes ont remarqué que les nids étaient localisés différemment, certaines plages semblant délaissées au profit d’autres, densément peuplées. Puis ils ont «superposé» sur ces cartes les valeurs du champ magnétique terrestre le long de la côte est de la Floride. «Nous avons constaté une corrélation très forte entre l’emplacement des nids et les variations du champ magnétique, ce qui suggère que les tortues cherchent leurs plages grâce à leur signature magnétique», avance le biologiste.
Une conclusion qui ne persuade pas complètement Simon Benhamou. «Sur les côtes de la Guyane, on observe le même phénomène, avec des lieux de ponte qui changent au fil des années. Or il s’avère qu’il n’est pas dû au champ magnétique, mais à la présence de bancs de vase empêchant les tortues de gagner les plages. Rien ne prouve qu’un paramètre inconnu ne soit pas à l’œuvre sur les côtes de Floride.»
Autre réserve, la présence de roches riches en métaux pourrait perturber localement le champ magnétique, ce qui induirait les tortues en erreur, comme si on plaçait un aimant près d’une boussole. Une éventualité envisagée par l’auteur de l’étude: «Ce n’est pas impossible, mais cela doit sans doute concerner uniquement certaines tortues, et de manière limitée.»
Quoi qu’il en soit, il semble que les tortues de mer s’orientent aussi grâce à d’autres mécanismes, comme le rappelle Philippe Gaspar, du laboratoire Modélisation des écosystèmes marins et monitoring par satellite (Toulouse). «Une étude menée en 2001 sur des tortues vertes a montré que ces dernières se servaient apparemment de leur odorat à l’approche de leur île de destination.» Un phénomène similaire est d’ailleurs observé chez les oiseaux migrateurs, qui se repèrent aussi grâce aux étoiles. «Tous ces animaux utilisent un faisceau d’indices pour naviguer, en fonction de leur distance à leur point d’arrivée», poursuit le chercheur.
Pour mieux comprendre d’où les tortues tirent ce prodigieux sens de l’orientation, il faudrait pouvoir les observer sur un cycle de migration complet à l’aide d’un suivi satellitaire, plaide Philippe Gaspar. «Mais les balises GPS que l’on fixe sur leurs carapaces ont une autonomie d’un an, alors que les tortues reviennent pondre tous les deux à quatre ans. Il faut donc attendre de meilleurs appareils.» Comme les animaux qu’ils étudient, les biologistes vont donc devoir prendre leur temps.
«La façon dont les tortues de mer retrouvent les plages de leur naissanceest un mystère»