Lundi dernier, Barack Obama a annoncé vouloir prolonger jusqu’en 2020 au moins le bail de la Station spatiale internationale (ISS), qui aura coûté environ 100 milliards de dollars. Entre 2004 et 2008, l’exploitation de cet immense complexe spatial, dont la construction doit être achevée cet automne, était restée en marge de la vision spatiale de Georges W. Bush, qui souhaitait l’abandonner en 2015, lui préférant un retour sur la Lune, puis Mars. L’actuel président américain a redonné un nouveau souffle à ce vaste projet international. A la grande satisfaction de l’Agence spatiale européenne (ESA), qui réunit 11 pays dont la Suisse, et reste l’un des partenaires principaux de l’ISS. Jean-Jacques Dordain, directeur général de l’ESA, explique au Temps pourquoi.

Le Temps: Vous êtes, on peut l’imaginer, très heureux de la décision de Barack Obama...

Jean-Jacques Dordain: J’ai moi-même été interrogé par le «comité Augustine», ce groupe d’experts indépendants mis sur pied par Barack Obama pour évaluer la faisabilité du projet Constellation de G.W.Bush [le rapport qu’il a rendu proposait entre autre de prolonger la durée de vie de l’ISS, ndlr]. Selon moi, ne pas fermer l’ISS en 2015 était une décision évidente: il était impensable de baser le futur de l’exploration spatiale sur un échec de l’ISS. La nouvelle de sa prolongation est donc évidemment excellente pour l’Europe, tant les investissements de l’ESA dans ce projet étaient énormes, avec notamment le laboratoire spatial Columbus [qui a coûté 970 millions d’euros]. De plus, ces dix ans à venir donnent une réelle perspective aux scientifiques, qui auront le temps de proposer de nouvelles idées d’expériences pour l’ISS et de les voir se concrétiser. Le président américain n’a d’ailleurs pas dit que les sas se fermeraient en 2020. Ne donnons donc pour l’instant aucune date de fin. Il faut utiliser l’ISS aussi longtemps que les bénéfices scientifiques et technologies dépassent les coûts d’exploitation.

Toutefois, l’accès a l’ISS n’est pas facilité par la mise en retraite, dès 2011, des navettes spatiales. Il reste les fusée Soyouz russes, dans lesquelles chaque siège coûte 50 millions de dollars... L’ESA, de son côté, a le projet d’un système de transport d’astronautes développé sur la base de l’ATV, le véhicule de transport de frêt automatique dont le premier exemplaire a été lancé avec succès en 2008. Est-ce là la solution de rechange?

– Concernant l’ATV habité, un projet a été évoqué, mais rien n’a été décidé pour l’instant. Nous voulons d’abord transformer l’ATV pour en faire un véhicule susceptible de ramener du matériel sur Terre [après son service, le premier ATV a été volontairement guidé vers l’atmosphère, où il s’est désintégré, ndlr]. Cela dit, il nous faut maintenant développer une politique de transport vers l’ISS commune aux cinq partenaires [ESA, Nasa, Agences spatiales russe, canadienne et japonaise ]. Nous devons par exemple nous demander quelles interfaces nous voulons pour permettre aux divers vaisseaux spatiaux de s’amarrer à l’ISS; actuellement, l’ATV ne peut se «docker» qu’au système d’interface russe situé sur la station....

– Depuis quelques années, la Chine fait d’énormes avancées dans le domaine des vols spatiaux. Quelle appréciation en faites-vous?

– Il faut profiter de nouveau souffle accordé à l’ISS pour élargir le partenariat avec d’autre pays, comme la Chine bien sûr, mais aussi l’Inde [qui a annoncé fin janvier vouloir lancer son premier homme dans l’espace d’ici 2016, ndlr], voire la Corée du Sud, qui appartient déjà au groupe de réflexion mondial sur l’exploration spatiale. Il est évident que si nous ne donnons aucun signe de rapprochement possible à la Chine, cela va l’encourager à persévérer dans son idée de vouloir construire sa propre station spatiale. Or le même scénario s’est produit vers 1993: les quatre partenaires de ce qui devait devenir la station spatiale Freedom se sont associés à la Russie pour imaginer ce qui est aujourd’hui l’ISS. Il faut refaire pareil avec la Chine.

– Avec la récente crise des missiles américains vendus à Taïwan, les relations ne sont pourtant pas au beau fixe entre les Etats-Unis et la Chine. L’ISS peut-elle être le prétexte à un début d’apaisement, voire de réconciliation?

– Ce n’est pas à moi de répondre, mais il est clair que l’on peut apprendre des leçons du passé. En 1975, en pleine guerre froide, les puissances russes et américaines ont décidé de faire se rencontrer dans leurs vaisseaux Soyouz et Apollo. Cela a été le premier signe concret de dialogue entre ces deux blocs. L’espace, qui est normalement un lieu de paix, peut donc être le lieu idéal pour effectuer un premier geste politique.

L’un des autres messages-clé du plan spatial voulu pour la Nasa par Barack Obama est que le président américain remet l’accent sur l’exploration scientifique dans l’espace, pan qui avait aussi été marginalisé dans le programme de Georges W.Bush. Est-ce une bonne nouvelle pour l’ESA?

– Totalement, car cela correspond tout à fait à nos priorités [beaucoup plus qu’un retour sur la Lune, ndlr]. Il faut rappeler que l’ESA est l’agence spatiale qui en fait le plus dans le domaine de l’observation de la Terre. Charles Bolden, le nouvel administrateur de la Nasa, est désormais partant pour une collaboration étroite et systématique avec nous dans ce domaine. Nous n’avons d’ailleurs pas attendu la NASA pour agir, puisque nous avons lancé l’été dernier un appel à idée pour des projets d’étude des changements climatiques depuis l’ISS. Le succès est au rendez-vous: nous avons reçu 44 propositions. Elles sont en train d’être évaluées. Lorsque le choix sera fait, dans deux mois, nous retournons vers leurs auteurs pour discuter des aspects financiers, sachant que les partenaires de l’ISS mettent la plate-forme à disposition, mais que les scientifiques doivent trouver le financement pour leur expérience.

Enfin, il est six jeunes astronautes – les six nouveaux que l’ESA a choisi l’an dernier – qui doivent aussi se réjouir...

– Oui, la décision de prolonger la vie de l’ISS va leur donner la possibilité – à certains du moins – d’y effectuer un séjour.