Les patients atteints d’un cancer sont aux mains d’une multitude de corps de métiers. A l’avant de la scène, on trouve les médecins et les infirmières, alors que biologistes et chimistes officient dans les coulisses. Mais à cette liste s’ajoutera bientôt une profession beaucoup plus inattendue: les statisticiens, qui pourraient être amenés à analyser les patients d’une façon aussi routinière qu’on leur fait une prise de sang.
L’idée fait son chemin dans plusieurs pays, dont la Suisse. En novembre, elle a été mise à l’honneur aux antipodes quand le statisticien australien Terry Speed a reçu le plus prestigieux prix scientifique de son pays, le Prime Minister’s Prize for Science. De prime abord, l’idée qu’un homme de chiffres reçoive un tel prix peut sembler étonnante: le mot «statistiques» est plutôt associé à des tableaux de chiffres ennuyeux qu’à des découvertes scientifiques majeures. Pourtant, depuis quelques années, les statisticiens comme Terry Speed sont des partenaires indispensables des biologistes, qui font face à un déluge de données, en particulier dans le domaine génétique.
Quand on pouvait, dans le passé, mesurer l’effet d’un seul gène, on obtient maintenant les mêmes informations sur des milliers de gènes simultanément, et les outils statistiques sont indispensables pour comprendre ces résultats. Ces données ouvrent la porte à une médecine plus personnalisée: là où les médecins effectuent systématiquement une opération, il peut être possible de déterminer à l’avance, en analysant le patrimoine génétique du patient, si cette intervention sera efficace. Dans les cas où cette opération a de lourds effets secondaires, savoir quand elle n’est pas nécessaire s’avère dès lors précieux.
Les premiers tests de ce type sont déjà disponibles dans le commerce, mais ne font pas encore partie de l’arsenal de la plupart des praticiens. On raconte que l’apparition des analyses de laboratoire avait provoqué en son temps une peur chez les médecins, ces derniers devant soudainement prendre en compte un grand nombre de paramètres jusqu’alors inconnus. Que l’anecdote soit vraie ou non, la même question se pose pour l’intégration des données génétiques, au sujet desquelles les médecins ne sont de loin pas encore formés.
De son côté, Terry Speed espère toujours, en plaisantant, lire un jour un article proclamant: «Le cancer vaincu grâce à un statisticien!» Si les méthodes statistiques ne suffiront pas à vaincre la maladie, elles ont néanmoins le potentiel d’améliorer grandement la vie des patients.
* Statisticien au SIB Institut suisse de bioinformatique