Silencieux, le monde végétal? Il semblerait que non, selon une étude publiée ce jeudi dans la revue Cell par une équipe de scientifiques israéliens et américains. Les plantes ne sont pas muettes, mais émettent des ultrasons – bruits de haute fréquence – détectables à distance, lorsqu’elles sont soumises à un stress.

«De précédents travaux ont montré que les plantes produisent des composés organiques volatils lorsqu’elles traversent une sécheresse ou sont attaquées par des herbivores, alors pourquoi pas des sons?, interroge Lilach Hadany, professeure en écologie des plantes à l’Université de Tel-Aviv et coautrice principale de l’étude. Nous avons eu l’idée d’écouter des végétaux, à des fréquences inaudibles pour l’humain mais très présentes dans la nature.»

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Dans leur laboratoire, la chercheuse et ses collègues ont conçu une chambre acoustique, dans laquelle ils ont installé des pots de plants de tomate (Solanum lycopersicum) ou de tabac (Nicotiana tabacum), ces deux espèces étant très souvent utilisées en agriculture. Puis deux microphones ont été placés près des plantes à une dizaine de centimètres de distance, pour écouter les bruits émis par chaque individu. Certains spécimens ont été privés d’eau et d’autres ont subi des coupes au niveau des racines.

Les enregistrements ont révélé que les plantes émettent des ultrasons, sous forme de sons secs et répétés, qui sont plus fréquents sous stress. Par exemple, les tomates assoiffées ont produit environ 35 pics sonores par heure et le tabac taillé, une quinzaine. Contre moins d’un par heure pour les plantes contrôles. «Ces sons ont un volume similaire à celui de la voix humaine, mais dans des fréquences beaucoup plus élevées, précise Lilach Hadany. Et ils changent en fonction des circonstances, déshydratation ou taille. Nous pensons qu’une partie de ces sons est issue d’un phénomène physiologique connu, la cavitation.»

«Le phénomène de cavitation est connu depuis longtemps et bien décrit chez les plantes, explique Edward Farmer de l’UNIL, qui n’a pas participé à l’étude. Il faut imaginer qu’il existe dans un végétal plein de fines colonnes d’eau, comme des fils pas plus gros qu’un cheveu, allant des racines (qui absorbent l’eau) aux feuilles (qui perdent l’eau par transpiration). Toutes les molécules d’eau doivent monter dans la colonne à la même vitesse sinon le fil se casse, ce qui produit une mini-explosion, avec une bulle d’air qui bloque l’ascension de l’eau.» Les sons perçus par l’équipe israélienne pourraient provenir de ces mini-booms de cavitation.

Pour savoir si ces bruits seraient perceptibles dans un contexte plus «normal», les auteurs ont réalisé la même captation mais en plaçant cette fois leurs micros dans une serre de culture. Ils ont testé un algorithme entraîné par machine learning pour extraire du bruit ambiant les sons provenant des plantes. L’algorithme a été non seulement capable de faire cette distinction, mais aussi de distinguer entre les différentes conditions, boîte acoustique ou serre, sécheresse ou taille, avec une précision de 84%.

Ces résultats, selon Lilach Hadany et son équipe, sont intéressants pour suivre à distance l’état de santé de plantes en culture. «Les bruits apparaissent deux jours après l’arrêt de l’arrosage, quand les plantes ne montrent encore aucun signe visuel de soif, ajoute la chercheuse. Nous avons déposé un brevet pour notre technique.» Des ultrasons similaires ont été enregistrés chez d’autres taxons de plantes, comme le blé (Triticum aestivum), le maïs (Zea mays), un cépage de vigne (Vitis vinifera), un cactus (Mammillaria spinosissima) et un lamier (Lamium amplexicaule).

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«Cette étude offre une avancée technique, basée sur des capteurs à distance, alors que jusqu’à présent ils étaient plutôt placés directement sur la plante, commente Edward Farmer. Il existe aujourd’hui une vague d’intérêt pour ces systèmes de surveillance. Par contre, du point de vue biologique, je ne suis pas convaincu que ces sons puissent être utiles pour d’autres espèces. La nature étant loin d’être silencieuse dans la fenêtre des ultrasons, je pense que ces bruits passent pour la plupart inaperçus.»

Une opinion que Lilach Hadany et ses collègues ne partagent pas. Selon eux, les «cris» des plantes stressées pourraient être entendus par d’autres êtres vivants, comme certains papillons de nuit qui communiquent déjà dans les ultrasons. «Les femelles déposent leurs œufs sur les plants et les bruits pourraient les aider à choisir un spécimen en bonne santé plutôt qu’un autre. Nous avons une étude en cours de publication basée sur cette hypothèse.»

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