Santé
Un quart des personnes actives en Suisse se disent très stressées dans l’exercice de leur profession. Malgré d'importantes répercussions sur la santé, les autorités sanitaires semblent pourtant fermer les yeux sur ce phénomène

A quel moment le stress devient-il vraiment néfaste pour la santé? Comment ce phénomène, pourtant physiologique, peut-il se transformer en arme de destruction massive pour notre organisme? Pour répondre à ces questions, imaginez une scène – coutumière peut-être – dans laquelle votre chef vous appellerait séance tenante dans son bureau sur un ton peu amical, voire carrément désagréable, alors que vous vous trouvez tranquillement à votre poste de travail.
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Passé la première onde de choc – mais qu’ai-je donc fait de mal? Que me veut-il? – et face à ce stimulus stressant, votre organisme va se mettre instinctivement en mode «mobilisation générale». Un subtil mécanisme de réaction en chaîne va dès lors s’enclencher, régulé par le système nerveux et les glandes endocrines. Première étape: les glandes surrénales libèrent de l’adrénaline, afin de permettre au corps de réagir immédiatement. Les réflexes, la force musculaire ou encore les perceptions sont décuplés, tout l’organisme est dans un état de grande vigilance. C’est ce que certains scientifiques appellent la fight or flight response.
Après quelques minutes, c’est la deuxième étape, l’organisme relâche de nouvelles hormones telles qu’endorphines, cortisol, dopamine ou encore sérotonine. Le but ici est d’augmenter le taux de cholestérol, d’acides gras et de sucre dans le sang, avec pour objectif que le corps puisse entreprendre les actions qui s’imposent. Enfin, une fois l’événement réglé, une réaction de détente se produit, notre organisme ressent de la fatigue, puis retrouve son métabolisme habituel.
Plein régime en continu
En soi, les deux premières phases de ce processus ne sont pas négatives. Les réactions de stress, lorsqu’elles sont épisodiques, agissent en effet comme un stimulant pour l’organisme. Le problème survient lorsque ce phénomène dure trop longtemps. Le cortisol a alors tendance à saturer l’hippocampe – la zone cérébrale censée apaiser la réaction au stress – avec pour conséquence d’inhiber le processus indispensable de régulation. On parle alors de stress chronique, une affection touchant de plein fouet la population suisse.
Selon la fondation Promotion Santé Suisse, qui publie chaque année son Job Stress Index, un quart des actifs du pays – soit 1,3 million de personnes – seraient en effet très stressés sur leur lieu de travail. Les salariés âgés de 25 à 39 ans engagés à plein temps sont plus spécifiquement concernés.
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Désordres multiples
«Le cortisol et l’adrénaline, deux hormones qui nous maintiennent en vie, peuvent également nous tuer en cas de surcharge allostatique, c’est-à-dire lorsqu’un individu est exposé à un stress répété ou chronique, a expliqué Bruce McEwen, spécialiste en neuroendocrinologie à la Rockefeller University (New York), à l’occasion d’une conférence organisée par l’Association suisse des journalistes scientifiques le 20 novembre dernier. Une dose trop élevée de cortisol dans l’organisme peut provoquer de graves désordres immunologiques, métaboliques, cardiovasculaires, cognitifs ou encore psychologiques.»
En clair, lorsque le stress est trop important, le corps s’épuise et des maladies apparaissent. «Le stress n’est pas le seul facteur de la survenue de pathologies comme l’obésité ou la dépression, mais il joue un rôle très important, précise Brigitta Danuser, professeure en médecine du travail et directrice du Pôle santé de l’Institut universitaire romand de santé au travail (IST). Par ailleurs, des études solides ont démontré que les personnes en situation de stress auraient deux à trois fois plus de risques d’être concernées par un accident cardiaque.»
Climat délétère
Environnement pollué, nuisances sonores à répétition, conflits familiaux récurrents… Plusieurs facteurs peuvent générer un stress chronique. Il semble toutefois que le cadre professionnel soit tout particulièrement pointé du doigt en Suisse. Les cas de stress au travail y seraient ainsi en nette augmentation depuis une décennie.
«Cela peut survenir lorsqu’on se trouve en situation de déséquilibre entre les efforts fournis et la récompense attendue, observe Ulrike Ehlert, professeure à l’Institut de psychologie de l’Université de Zurich. C’est par exemple le cas lorsque la surcharge de travail, les interruptions fréquentes ou de fortes responsabilités sont cumulés à un salaire inadapté, un climat de travail délétère ou encore de maigres perspectives d’évolution.»
Politique de l'autruche
Pour Promotion Santé Suisse, les coûts économiques du stress pour les entreprises s’élèveraient à quelque 5,7 milliards de francs par an. Toutefois, on manque encore cruellement de données pour appréhender réellement l’ampleur du phénomène.
«La Suisse pratique actuellement la politique de l’autruche, c’est comme si elle ne voulait pas savoir, s’indigne Brigitta Danuser. Il serait pourtant impératif d’avoir un chiffre précis sur les cas de burn-out au travail ou encore de suicides qui y sont corrélés. En Suisse, nous n’avons aucune information scientifique par rapport à cet aspect précis. Les suicides liés au cadre professionnel ne sont pas étudiés comme tels, alors que c’est le cas dans de nombreux autres pays. Le problème, c’est que le travail dans notre pays est à l’image d’une boîte de Pandore: c’est une valeur extrêmement puissante à laquelle on n’ose pas toucher.»