médecine
A l’origine d’un récent rapport décrié sur le dépistage du cancer du sein par mammographie, le Swiss Medical Board essuie de nombreuses critiques. Les méthodes de travail de cette association sont remises en cause. Remous dans le monde médical et scientifique
Le Swiss Medical Board dans la tourmente
Médecine A l’origine d’un récent rapport décrié sur le dépistage du cancer du sein par mammographie, le Swiss Medical Board essuie de nombreuses critiques
Les méthodes de travail de cette association sont remises en cause
Des sociétés médicales demandent des comptes à la FMH
Le ciel s’assombrit au-dessus du Swiss Medical Board (SMB). Moins de trois mois après la publication de son rapport polémique contestant l’utilité des programmes de dépistage de la mammographie (LT du 04.02.2014), le SMB a dû justifier ses recommandations lors de deux auditions, face au Conseil des Etats et au Conseil national. Une nouvelle mouture du document, avec des conclusions moins tranchées, pourrait être publiée d’ici à quelques semaines.
Le SMB essuie aussi les foudres de la Société suisse de cardiologie (SSC) qui, dans le Bulletin des médecins suisses du 9 avril, remet en cause la qualité d’un autre rapport, concernant cette fois-ci un examen de dépistage des maladies coronaires. Rassemblés en séance pas plus tard que le 23 avril, les membres de la SSC ont décidé de demander à la Fédération des médecins suisses (FMH) de se positionner officiellement sur la crédibilité de ce petit groupe d’experts rassemblés en association qu’est le SMB, et dont la légitimité pose question.
Créé en 2008 sur initiative de la Direction de la santé du canton de Zurich, ce qui n’était alors que le «Medical Board» devait «contribuer à garantir l’efficacité, l’adéquation et l’économicité des traitements médicamenteux exigées par la loi sur l’assurance maladie». Devenue le Swiss Medical Board en 2010, cette association est aujourd’hui financée par la Conférence suisse des directeurs cantonaux de la santé, la FMH, l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) et – de manière plus surprenante – pour 10% par le gouvernement de la Principauté du Liechtenstein.
Cet organe, qui se définit lui-même comme «indépendant de l’administration, des fournisseurs de prestations et de l’industrie», dit œuvrer dans l’intérêt des patients avant tout. «Nous nous considérons comme une instance neutre, explique Peter Suter, président du comité du SMB et ancien président de l’ASSM. En Suisse, nous n’avons pas, contrairement à d’autres pays européens, d’institution qui examine si les méthodes de soins ont un rapport coût-bénéfice suffisant; or c’est important, pour garantir la qualité et l’avenir du système de santé suisse mais aussi une prise en charge la plus adaptée possible pour les patients.»
«La médecine moderne est aujourd’hui indissociable de l’économie, commente pour sa part Peter Meier-Abt, expert du SMB et actuel président de l’ASSM. Il est naturel de vouloir faire du profit, mais de fait il devient alors très difficile de rester neutre. Au SMB, nous garantissons de rendre des recommandations les plus neutres et transparentes possibles, puisque nous n’avons pas de conflits d’intérêts.» Des propos qui suggèrent une opposition entre un SMB vertueux et des médecins cupides. «Il faudrait tout de même avoir l’honnêteté de reconnaître le travail fait par les sociétés savantes pour balayer devant leur porte depuis plusieurs années, rétorque François Mach, chef du service de cardiologie des Hôpitaux universitaires de Genève et président de la Société suisse de cardiologie. Bien sûr, il y a eu certains abus par le passé, nous ne cherchons pas à le nier, mais les choses changent et on ne peut pas mettre systématiquement tout le monde dans le même panier.»
Mais ces sociétés communiquent rarement vers le grand public leurs décisions et leurs recommandations. Ces «guidelines» sont pourtant à la disposition de tout un chacun, notamment sur les sites internet des différentes instances. Destinées aux praticiens, elles peuvent néanmoins paraître complexes pour la plupart des lecteurs non avertis. «Il est certain que le fruit de nos travaux est moins médiatisé que le dernier rapport du SMB», relève avec une pointe d’ironie Thierry Carrel, directeur de la Clinique universitaire de chirurgie cardio-vasculaire de Hôpital de l’Ile à Berne.
Il est vrai que la publication du rapport concernant la mammographie a été orchestrée de manière à garantir un certain buzz médiatique. Le SMB a en effet contacté deux titres, alémanique et romand, leur proposant le rapport pour une publication en avant-première. C’est finalement la NZZ am Sonntag qui s’est faite l’écho de ce rapport la première, touchant un lectorat dominical large, et générant dans la foulée un rebond médiatique non négligeable.
Une médiatisation qui tranche avec le manque de reconnaissance du SMB dans le milieu médical: «J’avoue que, avant qu’ils me contactent, je n’avais jamais entendu parler du SMB», concède un médecin hospitalier auquel il a été proposé de participer en tant qu’expert externe à la rédaction d’un rapport. Et Thierry Carrel d’ajouter: «Nous parlons de ce board parce que nous sommes intrigués par leur fonctionnement et surpris par leurs méthodes, mais concrètement leurs conclusions n’ont pas d’impact sur nos pratiques, elles ne sont pas assez sérieuses.»
En attirant l’attention sur leur travail, les experts du SMB se sont exposés à un flot de critiques quant à la méthodologie employée pour produire leurs rapports. «Plus que les conclusions du rapport, ce sont les méthodes employées qui nous ont choqués, relève Jean-Bernard Moix, président de la commission qualité de Swiss Cancer Screening. Il y a des biais évidents, qui ont été confirmés par un expert externe en épidémiologie auquel nous avons soumis le document.» Même avis du côté des cardiologues, qui dénoncent dans le Bulletin des médecins suisses «une analyse trompeuse».
Ligament croisé du genou, cancer de la prostate, médicaments anticholestérol, insuffisance cardiaque, etc.: le SMB ratisse large. «Il est étrange que le SMB se définisse comme l’organe compétent pour juger toutes sortes de mesures diagnostiques et thérapeutiques à travers toutes les spécialités médicales», s’interroge Thierry Carrel. Le choix des sujets dont le SMB s’auto-saisit incombe à son comité. Mais, selon son président, Peter Suter, «chaque année les sujets sont choisis parmi les 20 à 30 propositions que nous recevons des institutions de santé et des sociétés savantes».
La diversité des thèmes abordés surprend tout de même au vu du nombre restreint d’experts dans le comité scientifique du SMB – six au total, tous alémaniques. «Quand on voit le nombre de spécialistes qui sont requis dans un comité pour établir des recommandations et le temps que cela prend, on se demande comment fait le SMB», questionne François Mach. Dans la réalité, le SMB ne rédige pas ses rapports mais sous-traite la revue de la littérature scientifique, les interviews d’experts externes et la rédaction du document à un bureau zurichois de consulting en ingénierie, Ernst Basler + Partner. Une manière d’opérer qui choque les spécialistes, mais que le SMB justifie en soulignant que ces consultants sont tous des scientifiques. «Pour produire plusieurs rapports par année, nous faisons en sorte de poser une question très précise, ce qui limite le champ d’investigation et donc le temps nécessaire pour faire le tour de la littérature», précise Peter Suter.
La transparence, que le SMB place au centre de toute son activité, est aussi remise en cause. Le choix des experts externes revient au comité directeur du SMB, «sur proposition de la FMH», souligne Peter Suter. Ils sont deux ou trois invités à donner leur avis, au cours d’une interview de deux heures. Mais certains des experts sollicités, contactés par Le Temps, ont été surpris de voir leur nom mentionné alors que leur avis n’avait pas été pris en compte dans la rédaction des conclusions. «Nous précisions bien sur chaque rapport que son contenu ne reflétait pas nécessairement l’opinion des spécialistes auditionnés, qui ne sont d’ailleurs jamais d’accord entre eux», remarque Peter Suter. Dans les trois mois après publication, associations, sociétés savantes ou spécialistes peuvent communiquer leurs remarques au SMB, qui peut décider de les prendre en compte pour modifier le document. «Ce fonctionnement par post-reviewing va dans la bonne direction, mais n’est incontestablement pas optimum», concède Christoph Bosshard, membre du comité directeur du SMB et du comité central de la FMH, qui espère voir les choses changer prochainement.
Des changements, le SMB en promet. «Nous allons repartir sur de nouvelles bases et changer notre organisation très prochainement», a annoncé au Temps Peter Meier-Abt. Sensible aux critiques pointant ses faiblesses méthodologiques criantes, le SMB devrait s’adjoindre dans les prochains mois la collaboration de trois instituts universitaires, dont l’Institut d’éthique biomédicale de l’Université de Genève, faisant du même coup taire les reproches sur la composition très alémanique du board.
Le SMB songerait aussi à ouvrir ses portes à des experts, voire à des financements, de l’industrie pharmaceutique et des compagnies d’assurances. «Discuter avec toutes les parties concernées est aussi un gage de transparence, mais nous sommes conscients que nous devrons être très prudents pour maintenir l’indépendance du comité d’experts», avoue Peter Suter, qui souligne que, pour l’instant, le SMB n’a encore pris aucun engagement concret.
«Il est naturel de vouloir faire du profit, mais il est alors difficile de rester neutre»
«Nous allons repartir sur de nouvelles bases et changer notre organisation»