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Ce moyen de transport écologique, né en 2004 à Medellin en Colombie, se développe beaucoup, preuve en est le récent congrès mondial sur le sujet. Lausanne, Genève, Morges et tout récemment Fribourg s’y intéressent aussi

Neiri, employée de maison dans la ville ouvrière d’El Alto, à 4000 mètres d’altitude, emprunte tous les jours le téléphérique à la station Jach’a Qhathu. «Regardez comme c’est propre, et la courtoisie des employés, remarque-t-elle, rien à voir avec les minibus jonchés de détritus, où les chauffeurs vous maltraitent.» Après avoir déboursé les trois bolivianos de son ticket – soit quarante centimes, la moitié pour les retraités et les enfants – sa cabine commence une descente vertigineuse vers La Paz, survolant une autoroute où se bousculent minibus et taxis collectifs, dans un nuage de gasoil et un tintamarre de klaxons… «Dans à peine dix minutes, je serai au centre-ville», se félicite-t-elle.
Depuis mai 2014, date d’inauguration de ce téléphérique urbain qui compte aujourd’hui un réseau de dix kilomètres, plus de trente millions de passagers l’ont emprunté. A La Paz, passer par les airs était presque une obligation: la ville est enfoncée dans un canyon, lui-même coupé par 160 cours d’eau et autant de ravins, rendant impossible l’aménagement de couloirs de bus ou le percement d’un métro. Mais ce mode de transport, né en 2004 dans la ville colombienne de Medellin, connaît aujourd’hui un engouement qui dépasse de loin les plateaux andins.
Les villes succombent
Manizales en 2009, Caracas en 2010, Rio en 2011, Londres en 2012, et Cali il y a quelques semaines… La liste des villes qui ont succombé au charme du téléphérique s’allonge sans cesse. Des études sont menées en République dominicaine, au Chili, au Pérou, en Equateur, mais aussi en France (Brest, Toulouse, la banlieue parisienne) et en Suisse. Fribourg a le projet le plus avancé avec à l’horizon 2021 une ligne de 1500 mètres qui relierait la gare à la zone de Bertigny-Ouest; des réflexions sont également en cours à Lausanne, à Genève ou à Morges.
Les raisons de ce succès ont été analysées lors du premier Congrès international de transport par câble urbain qui s’est tenu il y a quelques jours à La Paz. Pour Dario Hidalgo, représentant de l’ONG World Ressources Institute, «le téléphérique permet de franchir facilement des obstacles topographiques, des fleuves, avec une très faible emprise au sol. Il a une capacité intermédiaire de 3000 à 3500 passagers par heure dans chaque sens, qui est suffisante dans la plupart des corridors de déplacement, et ses coûts sont raisonnables – de 20 à 25 millions de dollars par kilomètres.»
Ecologique, et économique
«C’est un système de transport électrique qui ne génère aucune émission de CO2 et sa construction est très rapide, entre dix et dix-huit mois, ajoute Victor Vargas, un consultant colombien. Les hommes politiques apprécient beaucoup de pouvoir réaliser des projets d’infrastructure dans un délai si court.» Pour cet expert, le téléphérique est l’avenir de nos villes et peut même se poser en précurseur des voitures volantes décrites par les auteurs de science-fiction: «C’est un transport aérien, calme, silencieux, on ne se rend presque plus compte que la cabine est accrochée à un câble.»
Le téléphérique, plus qu’un moyen de recoudre le tissu urbain, peut aussi changer le destin d’une ville. Medellin, siège du fameux cartel dirigé par Pablo Escobar, était en 1990 la cité la plus violente du monde avec un taux d’homicide de 381 pour 100 000 habitants. L’ouverture du Metro-Cable, qui a relié les quartiers pauvres des montagnes au centre situé dans la vallée, a contribué à en faire aujourd’hui l’un des capitales les plus agréables à vivre d’Amérique du Sud. «Avant les habitants de ces quartiers enclavés disaient 'on va à Medellín' comme si le centre était un autre monde, explique-t-on à l’ACI, l’agence locale d’investissement. Aujourd’hui le trajet a été réduit de deux heures en période de pointe à… quinze minutes. Et ces téléphériques aboutissent à de nouveaux parcs-bibliothèques qui sont même visités par les touristes. Pour la nouvelle génération grandir au côté de ces équipements c’est savoir que l’Etat est là, pour les accompagner.»
Depuis les stations de ski dans les Alpes
Ce retour du téléphérique ne laisse pas indifférente l’OITAF, l’Organisation internationale des transports par câbles qui regroupe tous les professionnels du secteur, notamment les constructeurs leaders de ce marché devenu mondial, le Français Poma et l’Autrichien Dopplemayer. «Notre cœur de métier c’était les stations de ski dans les Alpes, mais le nombre de skieurs ne se développant plus, nous sommes en surcapacité… Quand je vois les projets de téléphériques urbains en Amérique du Sud, mais aussi en Turquie, en Chine, je me dis qu’il est temps de s’ouvrir à ce nouveau marché», s’exclame Martin Leitner, son président.
Les industriels visent bien sûr le marché européen, où le potentiel est énorme. Mais sur le vieux continent, l’expansion du téléphérique urbain est pour l’instant ralenti… par la loi. «Il y a beaucoup de bureaucratie et de droits liés à la vie privée, déplore Martin Leitner. En Bolivie tout l’espace au-dessus de votre toit est public, alors qu’en Europe, parfois, vous ne pouvez même pas faire voler une cabine au-dessus d’un jardin. Le propriétaire peut vous faire un procès, et vous perdez cinq ans!»