Dépression, dyslexie, hyperactivité... Ces maux des temps actuels suscitent des questionnements éthiques: qui décide qu’un comportement ou des émotions relèvent de la pathologie, et quelles sont les répercussions de cette décision sur le patient? Afin de mener une réflexion transdisciplinaire, biologistes, philosophes, neurologues et anthropologues sont régulièrement en résidence à la Fondation Brocher à Hermance, près de Genève.

La nouveauté de cet été? Des rencontres entre ces scientifiques et des enfants sont organisées par le Mouvement Jeunesse Suisse romande (MJSR). Des échanges que les chercheurs souhaitent ensuite intégrer à leurs travaux.

«Est-ce que je dois prendre des médicaments si je suis dyslexique?» questionne Aline, 12 ans. Dans les jardins de la Fondation Brocher, une neurobiologiste et une anthropologue hollandaises sont encerclées d’enfants aux mains levées. Venues dans ces lieux pour y approfondir leurs travaux, les deux chercheuses participent à un atelier de médiation scientifique conçu par Animascience, un des pôles d’actions du MJSR.

Définitions mouvantes

«Définir une maladie mentale n’est pas une chose aisée et ces décisions sont souvent sujettes à controverses, car elles sont susceptibles d’évoluer en fonction des normes sociales. Nos cerveaux sont tous différents et il n’est écrit «dépressif» sur le front de personne», explique ainsi Esther Van Duin, neurobiologiste à l’Université de Maastricht aux Pays-Bas.

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La définition de ce qu'est une pathologie mentale a déjà beaucoup changé au cours du temps. Avant 1991, l’homosexualité était ainsi considérée par l’Organisation mondiale de la santé comme une maladie mentale. Consultation chez le médecin, suivi psychologique et prise de médicaments faisant partie du traitement.

Autre exemple: ce n’est que depuis quelques années que la recherche a cessé de se concentrer sur l’élaboration d’un médicament pour contrer la dyslexie, qui figure parmi les troubles de l'apprentissage, au profit de l’accompagnement social des sujets. 

Nous souhaitons mieux comprendre les intérêts qui régissent ce processus d’étiquetage. Comment, d’un simple trouble mental, il est envisageable de parler de maladie

Shannon Spruit, philosophe des sciences à l’Université de technologie de Delft 

Afin d’aider les enfants à comprendre la problématique, la scientifique agite méthodiquement les bras, puis leur demande de répéter sa gestuelle. Les hémisphères cérébraux ne travaillant pas de la même manière chez tout le monde, la chorégraphie obtenue diffère d'un enfant à l'autre. Pour autant, ne pas être dans la norme ne signifie pas être malade!

Isolement et stigmatisation

Pour Esther Van Duin, avoir la responsabilité de déclarer un cerveau malade est un pouvoir à questionner. Et si cataloguer une personne comme dépressive, par exemple, ne l’aidait pas à surmonter son mal-être, bien au contraire? Une telle catégorisation peut aussi entraîner isolement, stigmatisation et réprobation communautaire.

«Nous souhaitons mieux comprendre les intérêts qui régissent ce processus d’étiquetage. Comment, d’un simple trouble mental, il est envisageable de parler de maladie», indique Shannon Spruit, philosophe des sciences à l’Université de technologie de Delft au Pays-Bas.

Les scientifiques hollandaises ont interviewé médecins, compagnies d’assurances, patients et même responsables d'industries pharmaceutiques, dans le but de répertorier les intérêts de chacun. Au fil des réflexions, l’idée d’une généralité s’estompe.

Pour chaque patient, le parcours qui mène au diagnostic d'une pathologie apparaît variable. Dans certains cas, ce sont les personnes elles-mêmes qui ont besoin de qualifier de maladie leur mal-être, dans d’autres cas ce sont les compagnies d’assurances ou les normes sociales qui jouent un rôle prépondérant.

Pas de simples élèves

«Nous avons imaginé cet atelier car il nous semblait important que les enfants puissent réfléchir sur ces questions liées à des stigmatisations sociales. Le meilleur interlocuteur pour ce faire étant le scientifique qui travaille directement sur le sujet. Notre rôle a été de rendre possible cette rencontre et de créer le dialogue», dit Grégoire Lagger, chercheur aux Hôpitaux universitaires de Genève et concepteur des ateliers de médiation scientifique.

Dans ces ateliers, les adolescents ne sont pas considérés comme de simples élèves à qui les scientifiques viennent dispenser un savoir, mais comme des partenaires de discussion à part entière. «Lorsque nous avons effectué notre premier atelier avec les médiateurs, nous avons réalisé que les questionnements des enfants pouvaient nous être utiles, témoigne Esther Van Duin. Nous souhaiterions beaucoup compléter notre réflexion bioéthique avec les échanges que nous avons eus au cours des ateliers». 


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