Nanotechnologies
Les premiers physiciens ont posé leurs valises dans les nouveaux locaux de l’Institut Adolphe Merkle, à Fribourg. Ce centre de recherche fait la part belle aux matériaux bio-inspirés
Un grand labo pour l’infiniment petit
Nanotechnologies Les premiers physiciens ont posé leurs valises dans les nouveaux locaux de l’Institut Adolphe Merkle, à Fribourg
Ce centre de recherche fait la part belle aux matériaux bio-inspirés
Un revêtement pouvant se réparer lui-même, sous l’effet de la lumière. Des matériaux composites qui changent de couleur en cas de dégâts. Une imprimante qui «imprime» des feuilles de cellules pulmonaires… Bienvenue dans le monde des matériaux bio-inspirés, spécialité de l’Institut Adolphe Merkle, à Fribourg. Ce tout jeune centre de recherche en nanosciences de la matière molle – à la frontière entre physique, chimie et biologie – a convié Le Temps à découvrir ses nouveaux locaux, qui ouvriront leurs portes au public samedi 29 novembre.
Dans les couloirs à l’odeur de peinture fraîche, les femmes de ménage briquent les sols entre deux piles de cartons qui attendent d’être déballés. Les nouveaux propriétaires n’ont pas encore tout à fait pris possession des lieux. Il faut dire que la bâtisse est chargée d’histoire: l’institut s’est installé dans l’ancienne clinique Garcia, élégant bâtiment de style Art nouveau qui a vu naître de nombreux Fribourgeois depuis le début du XXe siècle.
Il a donc fallu planifier l’arrivée des équipes de recherche, casées depuis six ans dans des locaux provisoires à Marly. Avec une double contrainte, satisfaire à leurs besoins en équipements lourds, sans pour autant dénaturer l’édifice, dont les deux bâtiments restants sont classés. «Les anciens bâtiments n’abritent que peu de laboratoires, pour respecter au mieux la substance historique, confie l’architecte Dominique Martignoni. Les microscopes électroniques ont par exemple été installés dans les salles les moins sujettes aux vibrations, grâce aux mesures réalisées par un spécialiste.»
Ils sont là, les microscopes électroniques, au sous-sol, dans l’ancienne buanderie de la clinique, dont «le sol repose sur une mousse spéciale pour amortir les vibrations», ajoute Marc Pauchard, le directeur adjoint de l’établissement. Instruments emblématiques de l’infiniment petit, ces grosses machines grisâtres trônent au milieu de la salle, vomissant d’énormes serpents de câbles électriques. Elles permettent d’observer des échantillons à l’échelle du nanomètre, soit quelques millionièmes de millimètre. Le prix d’un tel jouet? Jusqu’à 1,2 million de francs pour le modèle le plus onéreux, dont le financement n’est pas encore achevé. «Avant, il fallait aller à l’EPFL ou dans d’autres universités pour pouvoir utiliser des microscopes électroniques, rappelle Marc Pauchard. Avoir nos propres outils nous permet de développer de nouvelles collaborations avec d’autres équipes.»
Créé en 2008 grâce à une donation de 100 millions de francs de l’industriel fribourgeois Adolphe Merkle, l’institut est principalement financé par la fondation éponyme. Elle lui assure les fonds nécessaires à l’achat de tels appareils pour l’étude de nanomatériaux tel celui sur lequel planchent Nico Bruns et son équipe. Ces derniers travaillent sur les matériaux composites, qu’on retrouve par exemple dans la carlingue des avions. Leur but, mettre au point un composite qui change de couleur lorsque sa structure est sur le point d’être altérée, afin de le remplacer avant qu’il ne cède. «Ce principe existe dans la nature, raconte ce chimiste. Si vous vous coupez, vous voyez du sang couler, c’est un signal visuel qui indique que votre peau est abîmée. Nous nous sommes inspirés de ce mécanisme. Le composite sur lequel nous travaillons est recouvert d’un revêtement de nanoparticules qui devient fluorescent lorsque sa structure atomique est endommagée.» Impossible hélas d’en savoir plus sur ce film magique, «des brevets ayant été déposés», justifie Nico Bruns.
Dans une salle du bâtiment voisin, construit en lieu et place des anciens blocs opératoires, un physicien s’affaire sur un GISAXS, autre type de microscope qui ne repose pas sur la lumière visible, mais sur les rayons X pour analyser l’arrangement spatial de nanomatériaux. «C’est un instrument très rare, nous sommes parmi les seuls laboratoires européens à en posséder un», ajoute fièrement le chercheur.
Autre domaine de recherche à l’étude, celui des matériaux autoréparables. Un prototype est actuellement dans les cartons de l’institut. Concrètement, il s’agit d’un revêtement transparent qui se raye comme l’écran du premier smartphone venu. Sauf qu’en présence de lumière, sa structure moléculaire se réarrange spontanément et reprend sa forme initiale, sans aucune rayure. Répétable à souhait, le processus de réparation, effectué sous nos yeux, ne dure que quelques secondes. On imagine déjà des carrosseries, des lunettes ou encore du parquet capables de résorber ces satanées rayures. Mais ce produit miracle est encore loin de toute commercialisation, les résultats préliminaires étant en cours de publication, a insisté le physicien Dirk Balkenende, qui a orchestré la démonstration.
Une partie des technologies développées à l’institut est enfin consacrée au vivant. C’est le cas de ce «moule» pour la croissance des cellules cartilagineuses. Sorte d’échafaudage synthétique, il permet de diriger correctement la croissance de ces cellules, processus qu’on ne sait habituellement pas contrôler. Ainsi guidées, les cellules peuvent s’ancrer correctement dans l’os et croître dans la bonne direction, ce qui laisse entrevoir des thérapies régénératives de ce tissu.
Avec autant de projets dans les tuyaux, l’institut devrait continuer à se développer. Et c’est tant mieux, car la compétition internationale est acharnée. Après avoir débauché en juillet dernier le professeur Ulrich Steiner, ponte de la physique des matériaux souples qui vient de quitter l’Université de Cambridge, l’Institut Adolphe Merkle poursuit son recrutement. A terme, 120 chercheurs s’y côtoieront.
Journée portes ouvertes , le 29 novembre, de 10h à 17h au 4, Chemin des Verdiers, Fribourg.
«Avant, il fallait aller dans d’autres universités pour utiliser des microscopes électroniques»