Matériaux
Comment rendre les bâtiments plus économes en énergie, plus agréables, plus modulables, mieux personnalisés? L’édifice NEST, installé à l’EMPA à Dübendorf, doit répondre à ces questions pour révolutionner le domaine. Il entre en service ces jours. Visite

De loin, il ressemble à un empilement de boîtes plates, ou à une construction en Lego tout droit sortie de l’imaginaire d’un enfant. Dedans, un immense patio ceint de murs et d’escaliers en béton s’élance sur trois étages, jusqu’à un plafond vitré que traverse une généreuse lumière. C’est la colonne vertébrale du NEST, nouvel édifice installé au Laboratoire fédéral d’essai et de recherches sur les matériaux (EMPA), à Dübendorf, qui aura coûté 20 millions de francs. Il doit permettre une plongée vivante dans les modes d’habitation économes en énergie des décennies à venir. Cet immeuble inédit en Europe entrera en service à la mi-juillet.
D’ordinaire, entre une innovation développée en laboratoire et sa mise sur le marché, il se passe une bonne décennie; les nouvelles technologies du bâtiment n’échappent pas à cette règle, explique Stephan Kälin, chargé de la communication. Qui plus est, le chemin entre ces deux étapes est coûteux et loin d’être direct, voire synonyme d’impasse. «L’immeuble expérimental NEST [pour Next Evolution in Sustainable Building Technologies, ndlr] doit raccourcir ce chemin», dit Peter Richner, directeur adjoint de l’EMPA dans une présentation du projet. Les 70 entreprises qui sont partenaires «peuvent y accélérer leur processus d’innovation et y tester leurs produits en conditions réelles».
L’ensemble fonctionnera comme un quartier vertical. Les unités sont énergétiquement indépendantes les unes des autres. On peut ainsi étudier les échanges et les flux d’énergie, et les optimiser de manière intelligente
«L’ensemble est constitué d’une structure centrale équipée d’accès aux services habituels (électricité, eau, ventilation, sorties de secours, etc.), et de vastes plateformes en béton superposées, entre lesquelles sont greffées des «unités» pour une période limitée (5 à 6 ans), explique Reto Largo, directeur de NEST. Et si des Living Labs – des laboratoires de recherche où l’on étudie les habitats du futur – existent par dizaines, celui-ci aura cette particularité que des êtres humains vivront dedans, expérimentant au jour le jour les technologies usitées.
Diverses technologies testées
Baptisée «Vision Wood», l’une de ces unités – celle qu’occuperont justement deux doctorants de l’EMPA – veut montrer que le bois reste un excellent matériau de construction, malgré sa propension à souffrir du temps qui passe en se détériorant.
Et pour accentuer le trait de la démonstration, les chercheurs de l’EMPA et de l’EPFZ ont choisi notamment du hêtre, un bois aussi solide qu’il est sensible aux moisissures dès qu’il est soumis à de l’humidité, et de fait assez peu utilisé. Les scientifiques y ont appliqué divers traitements de surface, dont un qui leur a permis de créer un lavabo et un plan de douche en planches de hêtre! «Nous étudierons comment ces objets vont se dégrader», dit Stephan Kälin.
Les chercheurs ont aussi injecté dans les fibres ligneuses différentes substances, ici de la chaux (oxyde de calcium) pour rendre des portes plus résistantes au feu, là, dans leur poignée, de l’iode antibactérienne pour exterminer les germes transportés par les mains des habitants, ou encore des particules d’oxyde de fer dans un tableau d’affichage mural en bois devenu… magnétique.
Béton et bois vert
Une autre «unit», nommée «Meet2Create» et gérée par la Haute Ecole d’arts appliqués de Lucerne, est aussi faite de beaucoup de bois, peint en vert, et de plantes. Mais plus que pour étudier les matériaux, elle se veut un espace de travail modulable à souhait. En témoigne son balcon escamotable. «Cet espace va s’adapter aux besoins et aux activités des utilisateurs», détaille la responsable Sibylla Amstutz dans la brochure descriptive.
Au-dessus, un module intitulé HiLo aura pour objectif entre autres d’implémenter des structures inédites en béton. Notamment un immense toit ondulé qui sera la «couronne» de NEST, espèrent ses pères. Ce type d’architecture n’est pas nouveau en Suisse, et possède même une tradition depuis les œuvres de l’architecte zurichois Heinz Isler, décédé en 2009. Ces toits en coquille peuvent toutefois être mauvais du point de vue de l’isolation. A NEST, «ils couvrent non pas une station-service ouverte, mais un espace résidentiel chauffé», précise Arno Schlüter, professeur d’architecture à l’EPFZ.
Des recherches sont donc menées pour rendre cette couverture de béton aussi thermiquement étanche que possible, par un système de couches et l’inclusion de tuyaux de chauffage. Par ailleurs, les dalles du sol, loin d’être pleines, seront composées d’arches de béton entrecroisées qui répartiront les tensions et les charges; de quoi économiser 70% de poids par mètre carré. Ces dalles seront testées la première fois dans un environnement réel.
Au même (dernier) étage, autre élément révolutionnaire: une salle de fitness et spa très économe en énergie. Habituellement, un tel espace, avec saunas et bain de vapeur, consomme environ 120 000 kWh d’électricité par année. «C’est beaucoup, et le potentiel d’économies d’énergie est immense», souligne dans la brochure Mark Zimmermann, l’un des managers de l’innovation à l’EMPA. Le fitness de NEST ne va utiliser que 17% de cette quantité d’électricité. Comment? En gérant très finement l’occupation du site, en utilisant un système de collecte de chaleur dans les douches ainsi qu’une pompe à chaleur fonctionnant avec du CO2 pour fluide, et en tirant profit d’une part de l’énergie photovoltaïque et solaire thermique générée sur l’édifice, et de l’autre de la chaleur et des mouvements… des sportifs sur leur machine.
Questions d’énergie centrales
De manière générale, les questions d’énergie seront centrales dans NEST. «L’ensemble fonctionnera comme un quartier vertical, dit Reto Largo. Les unités sont énergétiquement indépendantes les unes des autres. On peut ainsi étudier les échanges et les flux d’énergie, et les optimiser de manière intelligente.» Cette tâche incombera au bien nommé EnergyHub (e-hub), qui gérera aussi les diverses sources d’approvisionnement (panneaux solaires, batteries électriques, pompe à chaleur, piles à combustible). «A cela s’ajoutent les études menées par notre institut voisin, l’Eawag, sur l’utilisation efficace des eaux.»
Pour un avenir plus lointain, des tests de diverses innovations sont prévus: d’ici à 2017, un appareillage pensé par l’EPFL et visant à dévier puis concentrer la lumière diurne à l’endroit de la pièce où elle est le plus nécessaire, ceci à l’aide de senseurs, de micro-miroirs et d’éléments de façade actifs; un dispositif d’aide logistique et médicale intégré à l’habitat pour les seniors; ou encore un système pour récupérer et recycler au mieux les matériaux issus d’édifices détruits.
En Suisse, les bâtiments consomment, pour être chauffés ou refroidis, et alimentés en eau chaude ou en électricité, environ 40% de l’énergie totale. Or Stratégie énergétique 2050 prévoit que cette consommation soit réduite de 40% d’ici à 2035. Dès lors, «les immeubles doivent devenir en même temps plus efficients et intelligents, écrit en conclusion Walter Steinmann, directeur de l’Office fédéral de l’énergie. Ils doivent former des éléments actifs dans un système d’énergie plus large; cela concerne surtout les réseaux de chauffage et d’électricité. Au lieu uniquement de consommer, les bâtiments doivent devenir des mailles de ces réseaux, et les nourrir.»