Même sous un ciel sombre et pluvieux, on peut apercevoir le petit labo au fil de l’eau. A environ 500 mètres au large du port de Pully, la plateforme scientifique LéXPLORE flotte paisiblement sur les eaux du Léman. Un trajet de quelques minutes en bateau, ponctué de considérations sur les matériaux rendant les cordages plus résistants, suffit à y accoster et à rejoindre les équipes de scientifiques qui travaillent sur ce carré métallique de dix mètres de côté et au centre duquel se dresse une cabine flanquée d’ordinateurs et d’instruments en tout genre.

Si on veut comprendre le lac, alors il faut l’étudier à la vitesse où il change

Damien Bouffard, Eawag

Après un an de construction – il a notamment fallu construire quatre ancres de trois tonnes pour amarrer l’édifice –, la véritable science a pu débuter cet été. Physiciens, chimistes et biologistes viennent désormais tous les jours (et bientôt même la nuit) nettoyer, régler, calibrer leurs sondes et leurs détecteurs qui récoltent des données météorologiques, physico-chimiques (turbulence de l’eau, composition en gaz, etc.) et biologiques (nature des algues). L’objectif étant de comprendre et de modéliser les mécanismes à l’œuvre dans le plus grand lac d’Europe, soumis au réchauffement climatique et à des pollutions.

Mesures à haute fréquence

Le Léman fait bien entendu déjà l’objet de divers monitorings, notamment de la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman. Des mesures généralement effectuées à quelques semaines d’intervalle. A bord de LéXPLORE, les instruments frétillent à un tout autre rythme. «Dans le lac sont à l’œuvre des processus à variabilité journalière, par exemple en fonction de la lumière qui pénètre en surface. Si on veut les comprendre, alors il faut les étudier à la vitesse où ils changent», dit Damien Bouffard, physicien à l’institut de recherche sur l’eau du domaine des écoles polytechniques fédérales (Eawag). Les deux temporalités sont complémentaires, précise le scientifique: les campagnes espacées autorisent un suivi à long terme, tandis que les mesures à haute fréquence laissent entrevoir une compréhension plus fine de la vie aquatique.

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Debout au bord de l’eau, un ingénieur en coupe-vent brave la pluie et manipule un tableau de bord électronique. Il fait remonter depuis les profondeurs une corde enroulée autour d’un treuil, et à laquelle est attachée une capsule étanche contenant des échantillons d’eau ainsi que des capteurs d’oxygène, de conductivité et de pH, entre autres.

Les scientifiques sont ravis de ce treuil sophistiqué, qui descend au centimètre près: «Cet instrument facilite énormément le travail des chercheurs, car nous pouvons descendre les instruments à une vitesse lente et adaptée et à des profondeurs très précises», précise Natacha Tofield-Pasche, gestionnaire du projet qui fédère l’Eawag, les Universités de Lausanne et de Genève, l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et l’Institut national français de recherche agronomique à Thonon.

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Un autre appareil, baptisé Téthys, un «profileur automatique multiparamètre», fait lui aussi l’ascenseur mais de manière autonome. Il vogue dans une colonne d’eau en mesurant, tous les dix centimètres, l’absorbance et la réflexion du milieu. Avoir de telles mesures partout, tout le temps et en permanence permet de mieux comprendre ce qui se passe dans le lac, affirment les scientifiques.

Supercalculateur

Fin août, 15 projets étaient déjà lancés, projets qu’il faudra articuler entre eux. «C’est un de nos plus importants défis qui va promouvoir des collaborations interdisciplinaires essentielles, concède Damien Bouffard. Nous voyons LéXPLORE comme un projet de «big data du lac.» L’informatique est incontournable. Des data scientists auront pour mission de rendre les données accessibles et interopérables. Certaines modélisations du système lacustre sont si demandeuses en puissance de calcul qu’elles seront effectuées par rien de moins que le Piz Daint, supercalculateur le plus puissant d’Europe, branché dans les locaux du Centre suisse de calcul scientifique à Lugano, dans le cadre d’un accord avec le Swiss Data Science Center.

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Beaucoup d’eau et de données donc, mais pas seulement à l’adresse des scientifiques: le grand public aussi y trouvera un intérêt. De la température de l’eau pour les baigneurs à la force des vents et des courants pour les navigateurs, tout le monde aura accès aux mesures de LéXPLORE sur le web. «Tout sera beaucoup plus précis avec ce nouveau laboratoire», se réjouit Natacha Tofield-Pasche.