Les crises sanitaires ne sont pas une excuse pour abaisser les critères de qualité scientifique. La revue Science publie cette semaine un plaidoyer pour des recherches rigoureuses, qui tire à boulets rouges sur le déferlement actuel d’articles scientifiques douteux. Certaines recherches sur l’hydroxychloroquine, notamment, en prennent pour leur grade.

Malgré l’urgence, la recherche est toujours sujette aux mêmes critères scientifiques et éthiques qui gouvernent toute recherche sur l’être humain

Alex London et Jonathan Kimmelman, bioéthiciens 

La tribune exhorte les scientifiques, les professionnels de santé, les autorités sanitaires et les autres acteurs impliqués dans la crise du Covid-19 à mieux trier le bon grain de l’ivraie en matière de recherche scientifique. «Les exigences liées aux situations de crise telles qu’une pandémie nécessitent des mesures exceptionnelles pour […] écarter les recherches de mauvaise qualité», écrivent les bioéthiciens Alex London de l’Université Carnegie Mellon à Pittsburgh et Jonathan Kimmelman, de l’Université McGill à Montréal.

Boulevards de fausses pistes

C’est un débat qui revient depuis le début de l’épidémie: à la guerre comme à la guerre, le caractère exceptionnel et l’urgence de la situation exigent de passer outre les standards de qualité habituellement exigés dans les recherches scientifiques. Exit les groupes randomisés ou les placebos, les indices suggérant des essais cliniques rigoureux, place aux recherches indépendantes, mises sur pied en quelques jours et publiées au plus vite. Le résultat d’une telle course a conduit «à une avalanche de mauvaises études – pour beaucoup publiées dans des serveurs d’archives ouvertes, sans validation par les pairs – et dont certaines ont attiré l’attention du public et les ressources des décideurs», écrivent les auteurs.

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Les partisans d’une accélération tous azimuts des recherches considèrent que l’organisation de protocoles solides prend trop de temps, et qu’il vaut mieux tout faire pour obtenir des preuves immédiatement, quand bien même celles-ci seraient fragiles. Sauf que le contexte a beau devenir plus urgent, les problèmes à résoudre ne disparaissent pas comme par enchantement, rétorque Alex London en donnant un exemple du développement de médicaments: les petites études préliminaires, lorsqu’elles ne sont pas encadrées et coordonnées au sein de plus larges projets solides, génèrent bien souvent des signaux encourageants, soupçons de preuve qui ne sont jamais confirmés par la suite. Sans planification ou comparaison possible entre elles, ces études de francs-tireurs ouvrent ainsi des boulevards de fausses pistes, ce qui produit des connaissances erronées, gaspille temps et ressources et décourage médecins et patients de participer à d’autres essais cliniques.

La chloroquine vampirise patients et ressources

A ce sujet, un récent article paru dans Libération relatait que «l’écho médiatique mondial rencontré (en dépit d’une méthodologie très discutable) par l’étude clinique [sur la chloroquine] réalisée par l’infectiologue et directeur de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée, Didier Raoult, entrave les recherches scientifiques en cours pour trouver un traitement efficace contre le Covid-19. Occupés depuis dimanche [22 mars] à recruter les 800 patients français (sur 3100 Européens) destinés à participer à l’essai clinique européen Discovery, les infectiologues de Bichat se sont heurtés au refus de plusieurs malades.»

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La multiplication des essais sur l’hydroxychloroquine s’attire également de vives critiques. Rien qu’en Amérique du Nord, 18 essais cliniques sur l’hydroxychloroquine réunissant 75 000 participants sont actuellement en cours d’investigation dans le but de tester divers régimes posologiques. «Cette concentration massive d’études basées sur des hypothèses cliniques quasi identiques mobilise inutilement ressources et patients, et l’absence de coordination augmente la probabilité de trouver des faux positifs», prévient Alex London.

Des outils méthodologiques contestés

Les études de mauvaise qualité se distinguent souvent par l’absence de critères méthodologiques habituels: présence de groupes de contrôle, utilisation d’un placebo, randomisation (qui consiste à répartir les participants dans des groupes au hasard, pour éviter les biais de sélection). Absence qui serait justifiée parce que ces outils seraient contraires à l’éthique. Or, rappellent les auteurs, une recherche rigoureuse censée déterminer si un traitement est meilleur qu’un autre «s’assure justement qu’aucun participant ne reçoit de traitement dont on sait qu’il est moins efficace qu’une alternative existante». Autrement dit, la qualité et la rigueur d’un essai clinique sont intrinsèquement liées au respect de l’éthique et des personnes.

Autre petit arrangement avec la méthode pointé par les auteurs: le recours aux paramètres substitutifs douteux. Exemple, une récente étude sur le vaccin contre la tuberculose appliqué au Covid-19 a mesuré l’absentéisme des personnels de santé pour évaluer l’efficacité du vaccin. Un paramètre certes bien plus facile à estimer, mais qui ne renseigne pas vraiment sur l’efficacité d’une thérapie.

«Les recherches cliniques font partie intégrante de la réponse à l’épidémie. Malgré l’urgence, la recherche est toujours sujette aux mêmes critères scientifiques et éthiques qui gouvernent toute recherche sur l’être humain», rappellent les deux éthiciens, qui enjoignent aux gouvernements et aux autorités sanitaires de mieux coordonner les recherches et de mieux promouvoir et maintenir la qualité des essais cliniques dans le cadre du Covid-19.