Une molécule pour récupérer après un AVC

Médecine En combinant de la rééducation avec un nouveau traitement, des chercheurs zurichois ont rendu leur mobilité à des rats cérébro-lésés

Des essais sont en cours chez l’être humain

En une fraction de seconde, le rat saisit avec sa patte droite le granulé d’aliment placé devant lui. Pourtant, ce même rat esquissait à peine le geste un mois auparavant, après une lésion de son cortex moteur mimant un accident vasculaire cérébral (AVC). Cette récupération exceptionnelle, qui fait rêver tout médecin confronté à ses patients victimes d’AVC, résulte d’un traitement mis au point par l’équipe de Martin Schwab à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, un travail exceptionnel présenté dans la revue Science aujourd’hui. «C’est l’aboutissement d’une recherche exemplaire menée depuis plus de vingt-cinq ans par Martin Schwab et son équipe», témoigne le professeur Jean-Claude Baron, du centre de psychiatrie et de neurosciences Inserm à l’Hôpital Sainte-Anne de Paris.

Les chercheurs ont montré comment il était possible d’induire la croissance de nouveaux nerfs dans la moelle épinière pour que l’animal puisse à nouveau commander les muscles fins de sa patte. Mieux, ils ont pu marquer directement chez l’animal les nouvelles fibres nerveuses suscitées par ce traitement dans la moelle épinière et les inactiver pour démontrer leur rôle déterminant dans la motricité retrouvée. «Ce résultat spectaculaire est inédit, poursuit Jean-Claude Baron, car dans ce cas extrême de paralysie, qui exclurait chez l’homme toute récupération de la motricité de la main, ils ont montré que des fibres nerveuses de l’autre hémisphère du cerveau ont pris le relais chez le rat dans sa moelle épinière pour récupérer toute la motricité de la patte.»

Face à un AVC, l’objectif des chercheurs est de pouvoir remédier aux dégâts causés par l’absence d’irrigation locale du cerveau, due le plus souvent à la présence d’un caillot. En Suisse, plus de 16 000 personnes sont frappées d’un AVC chaque année, chiffre qui ne peut qu’augmenter avec le vieillissement de la population. En Occident, c’est la première cause de handicap chez l’adulte et la troisième cause de mortalité après les maladies cardiovasculaires et les cancers. Un AVC entraîne le décès dans 20% des cas, et des séquelles motrices diverses dans les autres cas qui peuvent être très handicapantes comme le rappelle le site de l’association suisse Fragile. «Dans près de la moitié des cas, l’AVC affecte la main et les chances de récupérer sa motricité si précise sont très réduites», précise Jean-Claude Baron. Un seul traitement a fait ses preuves, l’injection dans le sang, moins de trois heures après l’AVC, d’une enzyme capable de dissoudre le caillot, ce qui suppose un dépistage très rapide et un transfert à l’hôpital le plus proche.

Très tôt, les chercheurs ont constaté que le système nerveux pouvait récupérer une partie des fonctions perdues. Mais dans le système nerveux central, cette plasticité cesse rapidement sous l’effet de plusieurs protéines inhibitrices présentes dans la myéline, une gaine isolante entourant les neurones. L’identification de ces protéines a offert la perspective, avec la possibilité de les bloquer, d’amplifier la plasticité nerveuse déclenchée par l’AVC. Dès la fin des années 1990, Martin Schwab et son équipe avait identifié Nogo-A, une protéine majeure pour cette inhibition. L’injection dans la moelle épinière partiellement sectionnée de rats d’un anticorps capable de neutraliser Nogo-A permet aux animaux de récupérer une partie de leur motricité.

Un effet comparable est obtenu lorsque le cortex moteur est lésé par les chercheurs pour mimer un AVC chez l’homme. Les chercheurs constatent que, sous l’effet facilitateur de l’anticorps, des fibres nerveuses indépendantes de la région du cerveau touchée prennent le relais pour innerver à nouveau les muscles. En 2013, à la suite d’une collaboration avec des chercheurs de l’Université de Fribourg, ce résultat a été reproduit chez le singe pour le membre supérieur et la main.

La récupération motrice restait cependant limitée, et c’est à ce stade que le nouveau travail publié dans Science apporte un progrès décisif. Après lésion de la région corticale responsable du mouvement de leur patte, les chercheurs ont injecté dans la moelle épinière l’anticorps neutralisant Nogo-A durant deux semaine,s puis soumis les rats à d’intenses répétitions de l’exercice de préhension qu’ils avaient appris. Les progrès au fil des jours ont alors été spectaculaires, et au bout de deux semaines, les animaux réussissait leur geste dans plus de 80% des fois, un taux de réussite qui chutait à moins de 40% chez les animaux n’ayant pas reçu l’anticorps. «Cette amélioration a été retrouvée pour deux exercices de préhension que les animaux ne connaissaient pas, preuve que les bénéfices du traitement ne se limitent pas aux gestes déjà appris», précise la première auteure de l’étude, Anna-Sophia Wahl.

Une telle performance est de bon augure pour envisager de réduire les séquelles dues à un AVC chez l’homme. Ces espoirs sont nourris par le fait que plusieurs anticorps contre Nogo-A ont montré leur absence d’effets indésirables chez l’homme. L’un d’eux, produit par la société GSK, fait déjà l’objet d’un essai clinique pour traiter la sclérose latérale amyotrophique. «Notre anticorps, produit par la société Novartis, est aussi en essai chez l’homme pour traiter la sclérose en plaques et des lésions de la moelle épinière» ajoute Anna-Sophia Wahl.

Cependant, un autre résultat obtenu dans cette étude doit inciter à la prudence. Le traitement stimulant la neurogenèse appliqué non pas avant, mais en même temps que la rééducation intensive, a aggravé les symptômes de la paralysie chez le rat. «La nécessité, dans ce nouveau protocole, d’attendre plusieurs semaines avant d’entamer la rééducation motrice va à l’encontre de ce qui est actuellement préconisé chez les patients, ce qui suggère qu’une transposition chez l’homme de ces résultats, où patients et lésions sont aussi beaucoup plus hétérogènes que dans ce modèle animal, sera délicate à mener», conclut Jean-Claude Baron.

«Dans la moitié des cas, l’AVC affecte la main, et les chances de récupérer sa motricité sont très réduites»