Neurosciences
Une équipe internationale est parvenue à dialoguer avec des patients atteints du syndrome d’enfermement complet, ou «locked-in», en étudiant des signaux de leur activité cérébrale grâce à une interface spécialement développée. Ces personnes se disent «heureuses»

Souvent méconnue, la sclérose latérale amyotrophique (SLA) – ou maladie de Charcot – est une maladie neurodégénérative incurable et mortelle qui détruit les circuits neuromusculaires des patients. Progressivement, les malades perdent tout contrôle musculaire, et finissent par ne plus pouvoir parler, ni même communiquer par clignement des yeux. Dramatique pour le malade et ses proches, le syndrome d’enfermement – ou «locked-in» – fait l’objet de nombreux travaux dans le domaine des interfaces ordinateur-cerveau, qui permettraient de renouer le dialogue avec les patients.
Incapables de bouger les paupières
Un groupe dirigé par Niels Birbaumer, du Centre Wyss de Genève et de l’Université de Tübingen en Allemagne, a présenté le 1er février dans «PLoS Biology», les résultats d’une étude sur quatre patients victimes de SLA, qui ne peuvent plus communiquer, même à l’aide de leurs paupières. Un dispositif de mesure de l’oxygénation du sang cérébral – reflétant la consommation d’énergie des neurones –, combiné à l’électroencéphalographie (ou EEG, qui mesure l’activité électrique du cerveau), a permis de différencier, avec un taux de réussite de plus de 70%, les réponses «oui» ou «non» à des questions posées, après plusieurs dizaines de sessions d’entraînement.
Des questions dont la réponse est connue, d’abord, comme «Votre conjoint s’appelle-t-il Joachim?» puis des questions ouvertes comme «Etes-vous heureux?».
Cela pose des questions passionnantes et fondamentales sur le fonctionnement du cerveau
Injoignable, Niels Birbaumer a confié, dans un communiqué du Centre Wyss, que son expérience «contredit [sa] théorie selon laquelle toute communication est impossible avec les personnes atteintes de locked-in. […] Si nous pouvons reproduire ces résultats avec plus de patients, je pense que nous pourrons ré-instaurer une communication avec les personnes plongées dans un état d’enfermement par des maladies neurodégénératives.»
«Oui» ou «non», une question d’oxygène
«Si les malades pouvaient déjà communiquer en répondant par oui ou par non à des questions de leur entourage, ce serait formidable, mais il faudra du temps pour qu’un tel dispositif soit praticable à domicile et sans intervention de spécialiste», souligne Maureen Clerc, de l’Institut national de recherche en informatique et automatique de Sophia Antipolis, qui mène des recherches dans ce domaine avec le Centre hospitalier universitaire de Nice. «Les auteurs de l’étude ont pu déceler une différence dans le taux d’oxygénation du sang, suivant que le patient pense «oui» ou «non». C’est d’ailleurs très surprenant.»
A la question «Etes-vous heureux?» les quatre patients ont répondu «oui», confirmant une étude française de 2011
A l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de Lyon, le neuroscientifique Jérémie Mattout se dit lui aussi étonné. «On pensait que l’analyse du flux sanguin cérébral était moins performante que l’électroencéphalographie (qui analyse l’activité électrique cérébrale grâce à des électrodes, ndlr). Or cette étude suggère le contraire. Cela pose des questions passionnantes et fondamentales sur le fonctionnement du cerveau. Pourquoi le «oui» et le «non» se traduisent-ils par une différence dans sa consommation d’énergie?»
Enfermés, mais heureux
Niels Birbaumer est un pionnier reconnu des interfaces ordinateur-cerveau. «Il promeut depuis des années l’idée que la communication avec les personnes «locked-in» est essentielle à leur bien-être et il ne ménage pas ses efforts», commente Nick Ramsey, de l’Université d’Utrecht.
En novembre dernier, ce dernier a publié dans le «New England Journal of Medicine» les résultats d’un an d’étude sur une patiente dotée d’un implant dans une zone du cerveau liée au mouvement du bras. Après un intense entraînement, quand la patiente pense qu’elle bouge le bras, le signal reçu par l’implant joue le rôle d’un clic de souris sur l’écran d’un ordinateur où défilent des lettres. Un système utilisable à domicile. «Notre patiente peut encore suivre un objet du regard, elle n’est donc pas totalement enfermée, souligne Nick Ramsey, qui doit implanter deux nouveaux malades cette année. Mais le fait de pouvoir communiquer avec elle par cet autre moyen nous aide à améliorer notre implant. Les résultats de Niels Birbaumer, qui montrent qu’un patient totalement enfermé peut encore mobiliser sa pensée, sont très importants. Nous espérons pouvoir reproduire les deux fonctions d’une souris informatique, le «move & click», pour que la communication soit plus rapide.»
En répondant «oui» à maintes reprises à la question «Etes-vous heureux?» les quatre patients de Niels Birbaumer ont confirmé une étude française de 2011, menée sur une centaine de patients atteints du syndrome d’enfermement: les trois quarts affirmaient avoir une bonne qualité de vie et être heureux. «C’est une belle motivation pour nous!» se réjouit Nick Ramsey. La création, en cours, d’une association de recherche francophone sur les interfaces cerveau-machine est, de ce point de vue, de bon augure.