Une vaste analyse enfonce le clou sur la chloroquine, jugée inefficace, voire dangereuse
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La molécule vantée par Didier Raoult n’a aucun effet sur la mortalité de patients Covid-19 hospitalisés, d’après une méta-analyse saluée pour sa rigueur. Pire, elle serait même néfaste dans certains cas en raison de ses effets secondaires délétères

Efficace, pas efficace? Les études examinant l’intérêt de l’hydroxychloroquine (HCQ) pour soigner le Covid-19 aboutissent parfois à des conclusions divergentes. C’est pour y voir plus clair qu’une équipe franco-suisse de scientifiques a produit une méta-analyse de la littérature afin de déterminer si, oui ou non, la molécule controversée offre un quelconque avantage.
Leurs conclusions, parues le 27 août dans la revue Clinical Microbiology and Infection, sont sans appel: non seulement l’HCQ ne diminue pas la mortalité des patients Covid-19 hospitalisés, mais de plus sa combinaison fréquente avec l’antibiotique azithromycine (AZI) est associée à un risque de décès plus élevé par rapport aux traitements standards seuls.
Pour cette analyse, les auteurs menés par Thibault Fiolet, du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations à Paris, ont pris en compte 29 études explorant la question et regroupant en cumulé plus de 30 000 patients hospitalisés (sauf pour l’une d’entre elles) pour cause de Covid-19: trois essais cliniques randomisés et contrôlés, un essai non randomisé, et 25 études observationnelles.
L’hydroxychloroquine seule est inutile et entraîne une surmortalité lorsqu’elle est combinée à l’azithromycine
Les scientifiques ont effectué des analyses statistiques afin de déterminer le risque relatif, «un indicateur fréquemment utilisé en épidémiologie pour quantifier le risque de survenue d’un événement, en l’occurrence le risque de décès» selon que les patients reçoivent de l’HCQ avec ou sans AZI, versus les soins standards, détaille Thibault Fiolet.
Effets secondaires
Résultats, en ne considérant que les essais randomisés contrôlés, les chercheurs trouvent un risque de décès supérieur de 9% pour les patients recevant de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine, par rapport aux soins standards. A l’inverse, en prenant en compte les études observationnelles, le risque est cette fois inférieur de 17%. Mais après intégration et pondération de tous les résultats, la méta-analyse pointe au final vers une absence d’effet significatif de l’hydroxychloroquine sur la mortalité.
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S’agissant de la combinaison HCQ/AZI, les auteurs notent qu’elle est associée à une augmentation du risque de décès de 27% par rapport au risque de base de mortalité associé au Covid-19, «possiblement en raison d’effets secondaires sur le système cardiovasculaire», suppose Thibault Fiolet. L’AZI est connue depuis plusieurs années comme étant à l’origine d’arythmies.
«L’hydroxychloroquine seule est inutile et entraîne une surmortalité lorsqu’elle est combinée à l’azithromycine», résume un autre des auteurs, Matthieu Mulot, spécialiste en statistiques à l’Université de Neuchâtel. Ce dernier se félicite de ne pas avoir mené «une enquête à charge ou aux idées préconçues», mais d’avoir «analysé objectivement si ce traitement permettait de réduire ou non la mortalité, à l’aide des protocoles et des méthodes standards de méta-analyse».
«Cet article est pour moi de très bonne qualité au niveau méthodologique et statistique», confirme Caroline Samer, responsable de l’Unité de pharmacogénomique et de thérapies personnalisées aux Hôpitaux universitaires de Genève.
Du canular à la reconnaissance scientifique
Fait notable, les auteurs sont en majorité des thésards ou des post-doctorants qui ont effectué ces travaux sans financement, sans directeur de recherche, et sur leur temps libre. De quoi prêter le flanc aux critiques, et pourtant: la revue Clinical Microbiology and Infection est l’un des journaux de référence en la matière. La Société européenne de microbiologie clinique et des maladies infectieuses, à laquelle la revue est officiellement rattachée, a même relayé ces travaux dans un communiqué de presse.
«Notre équipe s’est formée de manière informelle via les réseaux sociaux, mais avec les accords de nos directeurs respectifs», précise un autre signataire, Mathieu Rebeaud, de l’Université de Lausanne. Ce doctorant biochimiste s’est illustré la semaine dernière en cosignant un fameux canular scientifique dénonçant les revues prédatrices dans lesquelles sont parfois retrouvées des études douteuses.
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Cette fois, ce n’est pas une blague, mais du sérieux, jure-t-il: «Notre étude a été validée dans les règles de l’art par des spécialistes de la méta-analyse de maladies infectieuses, sans doute même avec davantage de prudence que si nous avions un grand ponte parmi nous. Nous ne nous attendions pas à une telle reconnaissance.»
L’horizon s’assombrit définitivement pour l’HCQ. Prochaine échéance: l’arrivée des résultats des vastes essais Discovery et Solidarity, qui ont d’ores et déjà abandonné les tests de ce traitement.