Champs colorés, haies diversifiées et vergers anciens se sont multipliés dans le district de Nyon
Un paysage multicolore attend ces jours-ci le promeneur dans la campagne autour de Nyon. Bleu, jaune, rose, blanc: les prairies sont en fleurs et c’est un plaisir pour les yeux. Ces prairies colorées sont de plus en plus nombreuses dans la région depuis quelques années. De jeunes arbres fruitiers et des haies d’arbustes ont également fait leur apparition entre les parcelles agricoles. Tous ces éléments, qui redonnent du caractère au paysage tout en favorisant la biodiversité, ont vu le jour dans le cadre de réseaux écologiques: les agriculteurs locaux se sont regroupés afin de mettre en valeur leurs efforts en faveur de la protection de la nature.
«Les prairies fleuries, c’est un peu notre Amazonie à nous. Elles recèlent une très importante biodiversité», affirme la biologiste Sylvie Viollier, du bureau d’études In Situ Vivo, devant une parcelle multicolore située sur la commune de Trélex. «Il en existe différents types, selon le milieu dans lequel elles se trouvent. Celle-ci est sèche et possède un sol acide, ce qui lui confère une flore particulière», complète-t-elle. Sauge bleue, rhinanthe jaune et œillet rose ponctuent ainsi cette prairie. La biologiste désigne une autre herbe, qui déploie une grappe de fleurs roses: «Voici l’esparcette, également appelée sainfoin. C’est une excellente plante fourragère, qui fait l’objet d’études à la station de recherche agricole fédérale Agroscope», explique-t-elle.
Toutes les prairies suisses ne sont cependant pas aussi riches. Un grand nombre d’entre elles sont exploitées de manière intensive; de l’engrais y est ajouté afin de récolter le maximum de fourrage possible pour les animaux. Or ces prairies dites grasses ne bénéficient qu’à quelques plantes, comme le pissenlit, qui prolifèrent au détriment des autres.
Depuis les années 1990, la Confédération encourage les agriculteurs à maintenir des prairies diversifiées ainsi que d’autres structures favorables à la nature, en dédommageant leurs pertes de revenus au travers de paiements directs. Ces zones de promotion de la biodiversité doivent légalement couvrir 7% de la surface d’une exploitation. «L’idée de créer des réseaux afin de relier ces surfaces entre elles date du début des années 2000. L’objectif était d’améliorer leur qualité et de faciliter les déplacements des animaux», indique Regula Benz, spécialiste des surfaces de compensation écologique auprès d’Agridea, un organisme actif dans le développement agricole.
La prairie fleurie de Trélex fait ainsi partie d’un vaste réseau dit «La Frontière», créé en 2010 et qui regroupe quelque 76 exploitations réparties sur une surface de près de 3000 hectares. «Nous avons monté le projet de manière volontaire, raconte Pascal Ansermet, le président du réseau. Au début, nous n’étions qu’une vingtaine d’agriculteurs, mais nous avons vite été rejoints par nos voisins.»
Quel est l’intérêt pour eux de faire partie de ce type de regroupement? «Nous recevons des avantages financiers supplémentaires liés à la mise en réseau. Et puis la politique agricole suisse accorde de plus en plus d’importance à la biodiversité. La plupart d’entre nous voient de manière positive ce nouveau défi, qui consiste à concilier production vivrière et entretien du patrimoine», assure l’agriculteur. «Les prairies et les autres surfaces de promotion de la biodiversité ont aussi des fonctions agricoles, complète Yves Bischofberger, également biologiste chez In Situ Vivo. Elles permettent de lutter contre l’érosion des sols et elles fournissent un refuge pour les insectes pollinisateurs et pour les auxiliaires, qui s’attaquent aux ravageurs des cultures.»
Le premier réseau écologique de la région de Nyon, dit «Eco-Terre-Sainte», a été créé en 2008; depuis, trois autres réseaux ont vu le jour, dont celui de La Frontière. L’ensemble est réparti sur une quarantaine de communes. En tout, plus de 100 hectares de terres agricoles exploitées y ont été transformés en prairies naturelles. Et la technique employée, appelée «fleurs de foin», fait la fierté des participants aux réseaux. Elle consiste à faucher une prairie diversifiée lorsque les graines des fleurs y sont mûres, afin de les étendre au sol sur la nouvelle surface à ensemencer. «C’est une méthode traditionnelle mais qui a été peu à peu perdue avec l’arrivée dans le commerce de mélanges commerciaux de graines pour prairie», relate Pascal Ansermet. «Les fleurs de foin ont l’avantage de maintenir la diversité génétique locale des plantes, au lieu d’utiliser des semences standardisées», abonde Regula Benz.
Outre les prairies, plus de 1000 arbres ont également été plantés dans le cadre des réseaux écologiques du district de Nyon. A Trélex, un alignement de petits troncs est ainsi visible, non loin de la prairie. «Ce sont des cerisiers et des châtaigniers de variétés locales, précise Yves Bischofberger. Sur l’ensemble des réseaux, nous avons utilisé quelque 90 variétés d’arbre différentes, ce qui est aussi une manière de les conserver.» Les arbres de rente traditionnels qui constituaient auparavant les vergers dits à hautes tiges se sont en effet beaucoup raréfiés. «Or ces vergers constituent aussi un milieu d’accueil pour certaines espèces, notamment d’oiseaux», mentionne Sylvie Viollier.
Parmi les autres initiatives prises par les agriculteurs des réseaux figure la mise en place de haies arbustives, qui peuvent servir de refuge ou de couloir de déplacement à de nombreux animaux. Mais également la remise à la surface d’un cours d’eau, à Commugny. «Toutes ces actions vont aussi dans le sens d’une lutte contre la banalisation du paysage, et c’est d’ailleurs pourquoi le Fonds suisse pour le paysage a accepté de participer à leur financement», fait valoir Yves Bischofberger. La Confédération, le canton de Vaud, les communes et le Conseil régional du district de Nyon ont également contribué financièrement à la mise en place des réseaux.
Si, aujourd’hui, on peut déjà apprécier quelques-unes de leurs réalisations concrètes, comme les prairies, l’impact réel de ces réseaux en termes de biodiversité ne peut pas encore être évalué. Des suivis par des spécialistes sont prévus, pour savoir si certaines espèces ciblées par ces projets voient effectivement leurs effectifs s’accroître. «A l’échelle du pays, ces réseaux constituent déjà un succès par leur nombre: plus de 90% des exploitations agricoles font désormais partie d’un réseau écologique, indique Regula Benz. Et c’est déjà formidable qu’ils aient amené les agriculteurs à se mettre ensemble pour discuter écologie.»
Plus de 100 hectares de terres agricoles exploitées ont été transformés en prairies naturelles