Rentrée
Gravité de la maladie, recommandations vaccinales, covid long… Quels sont les risques pour les plus jeunes, alors que la rentrée a eu lieu dans tous les cantons et que le très transmissible variant Delta s’est imposé en Suisse ?

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C’est désormais chose faite. Avec la reprise à Genève et au Tessin, tous les élèves de Suisse ont retrouvé les bancs de l’école. Avec la mise en place de mesures sanitaires disparates d’un canton à l’autre, cette rentrée scolaire sera, sans nul doute, particulièrement scrutée. A l’aune du variant Delta, plus transmissible que ses prédécesseurs, le retour des enfants et des adolescents dans le milieu clos des salles de classe inquiète en effet de nombreux médecins et épidémiologistes, qui craignent une accélération de la circulation du virus.
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Et pour cause. Selon une modélisation épidémique de l’Institut Pasteur, la moitié des contaminations à l’automne pourrait concerner les enfants et les adolescents. Face à ce contexte, de nombreuses interrogations émergent: Dans quelle mesure les enfants et adolescents sont-ils davantage touchés par le virus? Quels sont les risques encourus par cette tranche de la population? Doit-on désormais recommander la vaccination à tous les adolescents? Le Temps fait le point, en cinq questions, sur les dernières données scientifiques en la matière.
1. Le variant Delta touche-t-il davantage les enfants?
Au début de la pandémie de Covid-19, les enfants de moins de 16 ans ne représentaient que 1 à 2% de tous les cas diagnostiqués en laboratoire, fait surprenant pour un virus respiratoire. Les suppositions étaient alors nombreuses: ces derniers étaient-ils moins diagnostiqués en raison de présentations cliniques plus légères ou atypiques? S’infectaient-ils moins?
L’apparition des variants Alpha, puis Delta, bien plus transmissibles que la souche sauvage du SARS-CoV-2, a clairement changé la donne. Avec un nombre de reproduction de base (R0) de 6 – ce qui représente le nombre moyen attendu de cas générés par une personne contaminée dans une population où tous les individus sont sensibles à l’infection –, le variant Delta s’avère aussi contagieux que la rubéole et presque autant que la varicelle (R0 = 8,5) tous deux également transmis par voie aérienne.
Cette contagiosité accrue n’est pas sans conséquences. En Suisse, les cas chez les 0 à 19 ans n’ont jamais été aussi élevés. Avec 5768 infections sur 17 120 confirmées en laboratoire durant la semaine du 23 au 29 août, cette tranche d’âge représente un tiers des cas répertoriés à l’échelle nationale, les 10-19 ans étant la tranche d’âge avec le plus de cas durant la dernière semaine.
Cette situation n’est pas sans rappeler celle des Etats-Unis, où le nombre d’infections chez les moins de 18 ans a subi une croissance très importante durant l’été, selon le dernier rapport de l’Académie américaine de pédiatrie. Plus de 180 000 cas ont ainsi été recensés chez des enfants la semaine du 19 août, contre un peu plus de 38 000 un mois plus tôt et 8447 à la fin du mois de juin.
2. Comment expliquer la transmissibilité accrue du variant Delta chez les plus jeunes?
L’une des principales hypothèses concerne la faculté du SARS-CoV-2 à se fixer au récepteur cellulaire ACE2, qui est la porte d’entrée du virus dans l’organisme. Plusieurs études conduites en 2020, dont l’une menée par des chercheurs de l’hôpital Mont Sinaï à New York, avaient conclu au fait que les plus faibles taux d’infection chez les enfants de moins de 10 ans étaient liés à une expression plus faible de cette protéine dans la population pédiatrique, celle-ci augmentant significativement avec l’âge. Cette particularité pouvait contribuer à expliquer pourquoi la prévalence du Covid-19 était moins importante dans cette tranche d’âge.
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Les mutations présentes dans la protéine spike du variant Delta lui confèrent toutefois l’avantage de mieux se fixer à l’enzyme ACE2, ce qui expliquerait pourquoi ce variant est devenu plus transmissible, y compris chez les enfants. «Les mutations qui augmentent l’affinité du virus aux récepteurs ACE2 accroissent les probabilités qu’adultes et enfants s’infectent lorsqu’ils sont exposés, confirme Arnaud L’Huillier, pédiatre et infectiologue aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Il se pourrait aussi, selon des études en prépublication, que le variant Delta génère une charge virale plus élevée. Si cela était confirmé chez les enfants, cela changerait complètement la donne quant aux données que nous avions jusqu’ici concernant la transmission au sein de cette population.»
Les enfants sont aussi les classes d’âge les moins vaccinées, or on sait que la vaccination protège des infections, y compris contre le variant Delta. Ces derniers sont donc comparativement plus à risque d’être infectés, ce d’autant plus que le variant Delta est bien plus contagieux que les formes initiales du SARS-CoV-2.
3. Le variant Delta est-il plus dangereux pour les enfants?
Si les enfants développent nettement moins souvent des formes graves du Covid-19 que les adultes, des alertes inquiétantes sont toutefois venues de l’étranger. Au Royaume-Uni, le variant Delta a en effet provoqué, selon les chiffres de l’Office national de la statistique, une hausse de 26% des hospitalisations chez les 5 à 14 ans les dernières semaines d’août par rapport au pic de janvier 2021.
De même, aux Etats-Unis, où des bassins très importants de population sont non vaccinés, le nombre d’enfants hospitalisés en raison du Covid-19 a augmenté de 50% depuis le début du mois d’août, avec près de 2200 enfants actuellement pris en charge dans le pays. Difficile toutefois de savoir si ces hospitalisations ont pour cause une plus grande virulence du variant Delta ou si la transmissibilité plus importante de ce dernier provoque mathématiquement plus de contaminations et donc plus d’hospitalisations.
«Les situations épidémiologiques des pays étrangers ne sont jamais totalement transposables à celles d’autres pays, pointe Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève. Par exemple, les prévalences de l’obésité, de l’hypertension et du diabète sont beaucoup plus élevées aux USA qu’en Suisse, y compris chez les jeunes. Or ce sont des comorbidités connues pour favoriser les complications sévères du Covid-19 et conduire à l’hospitalisation. Néanmoins, il vaut mieux voir ce qui se passe chez d’autres comme un sérieux avertissement de ce qui pourrait survenir chez nous, ce d’autant plus que la Suisse est aujourd’hui l’un des pays les plus vulnérables d’Europe vis-à-vis du covid et de son variant Delta en raison de sa trop faible couverture vaccinale.»
En Suisse, sept enfants (six enfants entre 0 et 9 ans et un enfant entre 10 et 19 ans) ont été admis à l’hôpital durant la semaine du 23 au 29 août en raison du Covid-19, ce qui représente environ 2,5% des hospitalisations, selon les données de l’Office fédéral de la santé publique. En cause, notamment, ce que l’on appelle le «syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique post-covid (PIMS)».
«On dénombre en Suisse environ une centaine de cas de PIMS depuis le début de la pandémie, analyse Arnaud L’Huillier. Cela reste heureusement quelque chose de très rare, dont la prévalence réelle est difficile à estimer, mais que l’on imagine autour de 0,1 à 0,5%. Sur Genève, nous n’avons pas encore de franc signal allant dans le sens d’une montée des hospitalisations chez les enfants, malgré une augmentation importante des cas recensés ces dernières semaines au sein de la population pédiatrique. Il convient néanmoins de rester prudent, car avec la hausse des infections, les cas nécessitant une hospitalisation risquent aussi statistiquement d’augmenter.»
4. Que sait-on aujourd’hui du covid long chez les enfants?
Maux de tête, fatigue, vertiges, perte persistante de l’odorat ou du goût, troubles du sommeil, de la concentration, de l’humeur, essoufflement… Ces symptômes peuvent se prolonger sur des semaines voire des mois après un Covid-19, y compris chez les enfants. Selon des travaux britanniques, cette affection, appelée «covid long», pourrait concerner entre 4 et 8% des enfants ayant été infectés, mais les données restent encore trop lacunaires pour en tirer des conclusions.
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«La question de la prévalence du covid long est toujours extrêmement floue, explique Anne Perrin, médecin et responsable de la consultation covid long en pédiatrie des HUG, ouverte au mois de mai. Mon impression est que cela touche tout de même moins les enfants que les adultes, bien que l’on s’attende, avec le variant Delta, à voir possiblement davantage de cas apparaître d’ici quelques mois.»
Malgré l’incertitude sur le nombre d’enfants touchés, l’existence de cette entité est désormais reconnue par le corps médical. «Presque la moitié de la trentaine d’adolescents et préadolescents que nous avons reçus en consultation ont vu un impact sur leur scolarité, en raison d’une longue absence ou d’une chute de leurs résultats, relate Anne Perrin. En fonction des symptômes rencontrés, nous orientons les patients vers des consultations spécialisées et mettons en place des programmes de reconditionnement physique très progressif. Le fait de valider les symptômes soulage aussi beaucoup les patients et les familles qui ont souvent erré longtemps avant de pouvoir bénéficier d’un accompagnement.»
5. Le variant Delta a-t-il fait évoluer les recommandations vaccinales?
Lors de l’autorisation, début juin, du vaccin contre le Covid-19 de Pfizer/BioNTech pour les 12 à 15 ans, l’Office fédéral de la santé publique ainsi que la Commission fédérale pour les vaccinations recommandaient la vaccination, dans cette tranche d’âge, en particulier aux jeunes atteints de maladies chroniques, ou pour ceux vivant en cohabitation avec des personnes immunodéprimées. Deux mois plus tard, qu’en est-il?
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«Au début de l’été, nous trouvions en effet que les données de sécurité, basées sur 1200 jeunes vaccinés, étaient trop limitées pour soutenir une large vaccination, souligne Claire-Anne Siegrist, cheffe du centre de vaccinologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). La position a, depuis, changé aux HUG comme à Berne car plus de 9 millions d’Américains entre 12 et 15 ans ont été vaccinés, ce qui constitue une large base de données de sécurité. Le seul effet secondaire notable, une inflammation des tissus du cœur ou autour du cœur, est rare, de courte durée et bénin dans l’immense majorité des cas. Par ailleurs, dans les prochains mois, le variant Delta va a priori infecter tôt ou tard une grande majorité des non-vaccinés quel que soit leur âge, y compris des jeunes avec un risque faible de covid grave, mais un risque encore sans doute sous-estimé de covid long.»
De son côté, l’Académie américaine de pédiatrie exhorte les Etats-Unis à aller vite sur la question de la vaccination chez les 5 à 12 ans. Pfizer/BioNTech et Moderna devraient rendre les résultats de leurs essais cliniques à l’automne, laissant présager une possible ouverture de la vaccination dans cette tranche d’âge en 2022.
Quelles mesures dans les écoles?
Alors qu’Israël a étendu son passe sanitaire aux enfants dès 3 ans, et que l’Association américaine de pédiatrie recommande le port du masque dès 2 ans, les cantons suisses avancent toujours en ordre dispersé. Pour les spécialistes, il ne fait pourtant nul doute que les écoles vont devenir un lieu de transmission. «Les enfants de moins de 12 ans ne sont pas éligibles à la vaccination et je n’entends pas, ni de la part des autorités fédérales ni des cantons, un discours de mobilisation générale visant à sécuriser les établissements scolaires, déplore Antoine Flahault. Or les salles de classe et les cantines sont des lieux fermés, bondés, souvent mal ventilés. Les enfants risqueront cet automne et cet hiver de s’y contaminer, de rapporter à leurs proches et leurs familles le variant Delta très contagieux.»