Vers un vaccin universel contre les coronavirus?
Covid-19
AbonnéPlusieurs groupes de recherche s’attellent à trouver un vaccin contre différents coronavirus et ainsi prévenir les pandémies. Des projets prometteurs mais complexes tant d’un point de vue technique qu’industriel

Et si l’injection d’un vaccin unique pouvait nous protéger contre le Covid-19, ses différents variants, mais aussi contre le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) ou encore d’autres pathologies liées aux coronavirus?
Loin d’être une utopie, le projet est dans les pipelines de la communauté scientifique depuis plusieurs années. En 2017 déjà, comme le rappelle le magazine Science, des chercheurs de premier plan dans le domaine de la vaccination avaient soumis une demande de subvention afin de mettre au point un vaccin en mesure d’arrêter les betacoronavirus, une famille de virus – dont fait partie le SARS-CoV-2 – capables de provoquer de simples rhumes comme des maladies létales. L’Institut national des allergies et des maladies infectieuses américain (NIAID) avait alors jugé cette proposition «de faible priorité», laissant ainsi s’envoler toute chance de financement.
Autant dire que depuis, la situation a considérablement évolué. Face à la menace d’une future nouvelle pandémie de coronavirus, le NIAID a revu ses positions et sollicité, en novembre 2020, des candidatures pour des «bourses d’urgence» destinées à poursuivre la recherche dans le développement d’un vaccin capable de reconnaître des cibles communes aux coronavirus circulant chez les humains et les animaux. Deux cents millions ont également été accordés, en mars 2021, par la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) – une organisation internationale à but non lucratif – pour la mise en place d’un programme visant le même objectif.
Cibler une zone commune
Actuellement, une vingtaine de groupes de recherche se penchent sur la mise au point d’un vaccin anti-coronavirus universel, l’idée étant d’induire la production d’anticorps neutralisants pouvant agir contre le SARS-CoV-2 mais aussi contre tous les autres betacoronavirus, ce que les spécialistes appellent une immunité cross-neutralisante. Pour ce faire, le vaccin doit présenter à l’organisme une panoplie de signatures correspondant aux coronavirus visés.
Parmi les différentes approches vaccinales étudiées, l’une s’est particulièrement démarquée ces derniers mois, faisant l’objet de plusieurs publications scientifiques. Elle repose sur l’utilisation de nanoparticules, par exemple de ferritine (une protéine dont le rôle est de stocker le fer) dont la surface a été modifiée par les scientifiques pour présenter ce que l’on appelle des motifs RBD – pour Receptor Binding Domain – provenant de différents betacoronavirus.
Le domaine RBD est une petite partie de la protéine spike, présente à la surface du virus. Si cette région intéresse les scientifiques, c’est parce qu’elle est utilisée par celui-ci pour reconnaître puis se fixer au récepteur de surface cellulaire ACE2, dont on sait aujourd’hui qu’il représente la porte d’entrée du virus dans l’organisme. Cette région a également pour avantage d’être commune à tous les coronavirus, mais aussi d’être moins sujette aux mutations que d’autres séquences de la protéine spike.
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Publiée le 10 mai dans la revue Nature, l’une des dernières études utilisant cette méthode rapporte des résultats encourageants, du moins chez le singe. Conduite par une équipe de scientifiques américains issus principalement de la Faculté de médecine de l’Université Duke en Caroline du Nord, elle concerne un vaccin composé de nanoparticules de ferritine liées à 24 séquences RBD de coronavirus. Chez les cinq macaques ayant reçu trois injections à quatre semaines d’intervalle, les scientifiques ont observé d’importantes réponses immunitaires contre deux betacoronavirus de chauves-souris, le SARS-CoV-1, le SARS-CoV-2 ainsi que ses variants B.1.1.7 (dit anglais), P.1 (dit brésilien) et B.1.351 (dit sud-africain). Mais cette réponse pourrait aussi provenir, dans une certaine mesure, de l’adjuvant 3M-052, une puissante molécule amplifiant l’effet du vaccin, jamais testé chez l’humain.
C’est une voie qu’il faut suivre en raison de son potentiel, mais la production à large échelle risque d’être très complexe
«Sans surprise, juste après la vaccination les singes ont développé des titres d’anticorps élevés contre tous ces RBD, observe Claire-Anne Siegrist, directrice du centre de vaccinologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Mais il y a un prix à payer: d’une part, les anticorps vont diminuer inévitablement. De plus, cette petite région stimule moins la réponse cellulaire que la protéine entière.» Médiée notamment par les lymphocytes T, la réponse cellulaire protège contre les complications. Elle est l’autre composante du système immunitaire avec la réponse dite humorale – celle des anticorps. «Par ailleurs, les virus peuvent aussi utiliser des récepteurs en dehors du RBD pour entrer dans une cellule et le risque existe que si la serrure RBD leur est fermée, cela exerce une pression de sélection favorisant les mutations pour entrer plus facilement par d’autres serrures», ajoute la spécialiste.
Même si ce vaccin devait démontrer son efficacité et son innocuité dans le cadre d’essais chez l’homme, il risque d’être confronté à une autre difficulté: la production. «C’est une voie qu’il faut suivre car elle semble avoir du potentiel, note Giuseppe Pantaleo, directeur du service d’immunologie et d’allergie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne. Toutefois une production à large échelle risque d’être très complexe de par les différentes étapes nécessaires à la production d’un tel vaccin. On le voit déjà avec la société Novavax, dont le vaccin est également basé sur des nanoparticules, qui a accumulé des retards de production énormes.»
Vaccins à ARNm toujours dans la course
Si des écueils demeurent, de nombreux scientifiques sont convaincus de l’utilité de développer des vaccins pan-coronavirus, à l’image de Dennis Burton, professeur d’immunologie et de microbiologie, et d’Eric Topol, professeur de médecine moléculaire, tous deux à l’Institut de recherche Scripps, en Californie. «Ces derniers pourraient être fabriqués à l’avance et déployés avant que la prochaine infection émergente ne devienne une pandémie», écrivent-ils dans un commentaire publié le 18 février dans la revue Nature, tout en incitant à investir massivement dans la recherche.
«Prédire d’où émergera le prochain virus pandémique – que cela soit le coronavirus, la grippe ou un autre virus – est impossible, tempère Claire-Anne Siegrist. A mon sens, le plus approprié est de disposer de vaccins prototypes dûment testés chez l’humain, au moins en phase 1 et 2, et prêts à être adaptés en quelques semaines à un nouveau pathogène émergent et ensuite produits rapidement. C’est l’une des perspectives fascinantes de la technologie à ARN messager (ARNm).»
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Une vision que partage Giuseppe Pantaelo: «Développer un vaccin universel risque de prendre beaucoup de temps et de nécessiter de gros investissements. L’important est aujourd’hui de continuer à développer des vaccins à ARNm capables d’agir contre les variants. La technologie a pris quinze ans à être fonctionnelle, mais maintenant que toute la procédure a été mise en place des modifications peuvent être réalisées facilement.»
Dans ce sens, l’étude conduite par les chercheurs de l’Université Duke apporte une bonne nouvelle: testés en parallèle, les vaccins à ARNm ont également induit des anticorps neutralisants dirigés contre le domaine RBD, bien qu’en moindres quantités. Selon les auteurs, «ces résultats démontrent que les vaccins à ARNm actuels peuvent conférer une certaine protection contre les futures flambées zoonotiques de betacoronavirus et fournir une plateforme pour le développement ultérieur de vaccins pan-betacoronavirus.»
Une autre cible identifiée
On sait aujourd’hui que la protéine spike est la clé permettant aux coronavirus de pénétrer dans les cellules humaines. Pour l’heure, les essais visant à développer un vaccin universel se sont particulièrement focalisés, pour de bonnes raisons, sur l’une de ses parties spécifiques: le domaine RBD. C’est en effet cette région qui permet à la protéine de pointe de se fixer directement aux cellules humaines. Une récente étude de l’Université du Texas a toutefois permis de voir que 84% des anticorps ciblaient d’autres parties de spike, 40% d’entre eux s’attaquant plus spécifiquement à une partie appelée sous-unité S2 qui permet au coronavirus de fusionner avec la membrane cellulaire et qui, bonne nouvelle, ne semble pas muter rapidement.
Située dans la tige de la protéine spike, cette cible pourrait être exploitée pour développer un vaccin pan-betacoronavirus, comme le souligne une équipe internationale de chercheurs, dans un travail paru le 12 mai dans la revue Nature Structural & Molecular Biology. Ces derniers ont en effet découvert un anticorps monoclonal neutralisant, appelé B6, ciblant la sous-unité S2 de huit betacoronavirus différents. L’objectif étant désormais de parvenir à développer des vaccins capables de produire une réponse immunitaire spécifiquement dirigée contre cette région.