Installations artistiques et expériences scientifiques interrogent notre rapport à l’agression et aux sanctions
Forcer un enfant à finir son assiette est-il un acte violent? Une foule de supporters du FC Sion est-elle par essence agressive? Dès l’entrée de la nouvelle exposition Violences au Musée de la main UNIL-CHUV à Lausanne, le visiteur est invité à donner son avis sur ces questions et d’autres, à l’aide d’un dispositif interactif. En comparant ses réponses avec celles des autres visiteurs, on se rend compte à quel point la perception de la violence est variable d’une personne à une autre. Le ton est donné: au fil d’un parcours mêlant expériences scientifiques, témoignages photo, audio et vidéo mais aussi œuvres d’art, c’est sur son propre rapport à la violence (et aux sanctions qui vont avec) que l’exposition amène à réfléchir.
Mais d’abord, pourquoi parler de violence dans un musée? «C’est un de nos partenaires, le Département universitaire de médecine et santé communautaires du CHUV, qui a attiré notre attention sur ce thème, en raison de son importance en termes de santé publique», relate l’anthropologue Francesco Panese, qui fut pendant quinze ans directeur du Musée de la main, et qui vient de passer le flambeau au sociologue de l’Université de Lausanne Olivier Glassey. L’équipe du musée est habituée à se frotter à des thématiques situées à la frontière entre sciences et sociologie. «Mais cette fois nous craignions de tomber dans la mise en scène de la violence, dans sa banalisation ou encore dans le voyeurisme», indique Carolina Liebling, la directrice adjointe. Autant d’écueils qui ont été évités puisque l’exposition parvient à parler de la violence sous toutes ses formes… sans presque jamais en montrer directement.
Cette prouesse va de pair avec une des constatations de l’exposition: la violence est aujourd’hui de moins en moins visible, de plus en plus insidieuse. Du moins pour ce qui concerne l’Europe occidentale: «La violence physique a fortement décliné sur notre continent depuis le Moyen Age. A cette époque, il y avait environ 100 fois plus d’homicides qu’aujourd’hui», explique Carolina Liebling. La forte médiatisation de certains faits divers – en témoigne une des salles d’exposition, couverte de manchettes de presse relatant des agressions sordides – serait responsable de la perception courante (mais faussée) selon laquelle la violence progresse dans notre société. Certains types d’agressions autrefois tolérées socialement – le viol au sein d’un couple marié, par exemple – tombent désormais sous le coup de la loi.
Cela ne signifie toutefois pas que l’agression ait disparue de nos vies. Les statistiques de la violence domestique en Suisse sont particulièrement effrayantes: «Deux femmes par mois meurent sous les coups de leur compagnon en Suisse», assène Marie-Claude Hofner, médecin à l’Unité de médecine des violences du CHUV, dans la salle de l’exposition consacrée à cette problématique. Salon cossu avec meubles anciens et cadres au mur: la décoration choisie pour cette salle ne doit rien au hasard. Elle marque le fait que la violence domestique touche toutes les classes sociales, y compris les plus éduquées.
A l’école aussi, la violence continue d’exister, bien que les châtiments corporels n’y aient plus cours, et même si les jeunes suisses sont moins violents qu’il y a dix ans, comme l’a montré une étude récente. «Les services de police que nous avons consultés pour l’exposition ont mis l’accent sur le harcèlement sur les réseaux sociaux, un phénomène devenu courant chez les jeunes», souligne Francesco Panese. Aux murs, des panneaux évoquant des tableaux noirs d’école portent les témoignages d’enfants et d’adolescents victimes de violence à l’école. Dans un enregistrement audio, une petite fille de 10 ans explique comment elle a fait l’objet de maltraitances de la part de ses condisciples jusqu’à l’intervention de ses parents. De tels témoignages de victimes ou d’experts des phénomènes violents peuvent être écoutés tout au long du parcours; ils contribuent à l’intérêt de la visite en la rendant plus vivante.
D’où viennent donc tous ces comportements violents? Sont-ils innés ou acquis? C’est aussi une des questions posées par l’équipe du musée – et avant elle, par de nombreux philosophes et chercheurs. Même s’il reste pour l’heure difficile de trancher dans ce débat, il est désormais admis qu’il n’existe chez l’être humain ni bosse ni gène de la violence, ce que des scientifiques ont affirmé par le passé. Ce qu’on sait aussi, c’est que les petits enfants sont enclins à l’agression physique, avec un pic de violence autour de l’âge de 2 ans.
Mais le développement de l’agressivité aurait aussi beaucoup à voir avec l’apprentissage. «Les enfants qui sont élevés dans un environnement où la résolution des problèmes passe par la violence vont avoir tendance à imiter le modèle de leurs parents ou de leur groupe social», explique Alain Clémence, chercheur au Laboratoire de psychologie sociale de l’UNIL, qui a participé à la conception de l’exposition. En appui de ces propos, une vidéo de la célèbre expérience dite de la poupée Bobo, menée en 1961 par le psychologue américain Albert Bandura, montre comment des enfants exposés à des scènes dans lesquelles des adultes se comportent de manière agressive envers une poupée ont eu tendance à imiter spontanément ces comportements.
Le rôle des lois et normes, de la punition ou encore de l’éducation dans la canalisation de la violence est encore abordé au fil des salles. Des images de prisons en France et en Norvège, des témoignages vidéo de détenus de la prison de Thorberg, surnommée l’Alcatraz de Suisse, renversent le regard et amènent à considérer le sort des auteurs de violences. Quelle est la juste sanction? Comment faire pour que cette sanction bénéficie à la société – notamment en évitant la récidive? Autant de questions complexes sur lesquelles le visiteur a tout le loisir de méditer dans la dernière pièce de l’exposition, une installation artistique apaisante dans laquelle des herbes s’agitent au gré d’une brise légère.
Exposition «Violences», au Musée de la main UNIL-CHUV à Lausanne, jusqu’au 19 juin 2016.
Certains types d’agressions autrefois tolérées socialement tombent désormais sous le coup de la loi