La voile solaire reprend du service

Espace LightSail, une voile pour vaisseau spatial, sera testée en orbite à partir de mercredi

Un mode de propulsion propre, qui repose sur la poussée des rayons lumineux

LightSail en chiffres

Et si la propulsion spatiale du futur était… la voile? Un mini-satellite équipé d’une voile solaire doit être lancé en orbite ce mercredi 20 mai, à 16h45 (heure suisse). Nommée LightSail, cette mission veut prouver qu’il est possible de voyager dans l’espace sans aucun combustible en profitant, comme un navire profite du vent, de l’infime poussée fournie par les rayons lumineux.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la lumière possède sa propre force. Elle vient des photons, ces particules qui la constituent. Bien que dépourvus de masse, les photons possèdent une quantité de mouvement qu’ils transmettent à tout objet sur lequel ils sont réfléchis, ce qui provoque une poussée. Comme une balle déplace un panneau sur lequel on la lance.

Bien entendu, cette pression dite «de radiation» est très faible: à peine 9 micronewtons par mètre carré, soit la pression exercée par une pièce de monnaie sur la surface entière d’un terrain de football. Imperceptible sur Terre, l’accélération résultante prend un tout autre intérêt dans l’espace, où les résistances aux mouvements sont bien moindres. A tel point que l’accélération est continue. Autrement dit, sans rien pour s’y opposer, il serait possible d’atteindre des vitesses proches de celle de la lumière… du moins en théorie.

«La voile solaire est un concept aussi vieux que l’espace», plaisante Roger-Maurice Bonnet, ancien président du Comité mondial pour la recherche spatiale. Aussi vieux que l’espace, peut-être pas, mais la voile solaire ne date pas d’hier, popularisée par nombre d’auteurs de science-fiction, de Jules Verne à Arthur C. Clarke. Le projet LightSail n’est d’ailleurs pas le premier à s’y consacrer. En 2010, l’agence spatiale japonaise a lancé un prototype de voile solaire, Ikaros. Six mois plus tard, celui-ci atteignait sa destination, la planète Vénus. Plus récemment, la NASA s’est elle aussi lancée dans l’aventure avec SunJammer, une voile solaire dont le développement a cependant été arrêté en 2014.

Aux commandes de LightSail se trouve la Planetary Society, association privée réunissant ingénieurs et passionnés d’exploration spatiale. C’est la deuxième fois que cette organisation tente le coup. La première fut un échec: la fusée russe Volna, qui devait lancer la première LightSail, s’est écrasée en mer de Barents il y a dix ans, presque jour pour jour. Pour cette deuxième tentative, c’est la fusée américaine Atlas V qui décollera du Kennedy Space Center, en Floride. Concrètement, le prototype consiste en un CubeSat, ces mini-satellites low cost pas plus gros qu’une boîte à chaussures. Il contient la voilure soigneusement pliée qui devra se déployer une fois l’altitude de croisière atteinte. C’est d’ailleurs uniquement cette étape qui sera testée lors du vol d’essai de mercredi. «Le déploiement de la voile est la phase la plus délicate, confirme Anton Ivanov, collaborateur scientifique au Centre d’ingénierie spatiale (eSpace) de l’EPFL. Au moment où elle se décompacte, elle se déchire facilement, en raison de la finesse des matériaux utilisés.» Car pour profiter au maximum de la pression de radiation, il faut bien entendu la masse la plus faible possible. «Pour transporter une masse de 100 kg, il faut une voile solaire ayant une surface d’environ 2500 mètres carrés», soit huit fois plus que la surface de la LightSail, estime Manfred Falkner, ingénieur en mécanique à l’Agence spatiale européenne (ESA). Pour alléger les masses au maximum, les ingénieurs de la Planetary Society ont opté pour les matériaux les plus légers possible. Le CubeSat ne pèse ainsi que 5 kg. Quant à la voile, elle est faite en un matériau poids plume, le Mylar, un film de plastique 25 fois plus fin qu’une feuille de papier.

L’essai qui démarre mercredi doit également faire office de baptême du feu pour les matériaux choisis. «Le Mylar est un matériau cassant dont on ignore le comportement dans un environnement spatial avec de très basses températures et de fortes doses de rayonnements cosmiques», prévient Manfred Falkner.

Si tout se passe comme prévu, la Planetary Society prévoit un véritable essai de navigation début 2016. Estimé à 5,45 millions de dollars (5,1 millions de francs), le développement de la LightSail a été financé par des mécènes ainsi que par le grand public, via la plateforme de financement participatif Kickstarter. Il n’a fallu que 24 heures pour atteindre l’objectif initial de lever 200 000 dollars. Le 19 mai, soit une semaine plus tard, près de 600 000 dollars de promesses de don étaient compta­bilisées. «Plus que cette somme conséquente, c’est le nombre extraordinaire de participants, plus de 10 600 au 19 mai, qui nous importe. Cela prouve que l’exploration spatiale ne relève pas uniquement des gouvernements et d’agences spatiales, mais que c’est bien l’affaire de tous», se réjouit Richard Chute, directeur du développement de la Planetary Society.

Tout cela laisse sceptique Roger-Maurice Bonnet. «L’initiative mérite d’être testée, mais à ce stade, il reste beaucoup de handicaps: la poussée diminue à mesure que l’on s’éloigne du Soleil, et de telles structures génèrent beaucoup de débris spatiaux.» De telles réserves, Bill Nye, le président de la Planetary Society, y répond toujours de la même manière: «Un test vaut mille avis d’experts.»

«Pour transporter une masse de 100 kg, il faut une voile ayant une surface d’environ 2500 mètres carrés»