Kip Andersen et Keegan Kuhn ont encore frappé. Après Cowspiracy, qui dénonçait les ravages de l’élevage intensif et mettait en cause plusieurs ONG environnementales, les deux réalisateurs américains reviennent avec What the Health, un documentaire qui dénonce les ravages des protéines animales, à grand renfort d’experts et études alarmistes. Viandards, vous êtes prévenus, la mort est au bout de la bidoche, avec son cortège de cancers, diabètes et maladies cardiovasculaires… Hélas, plusieurs médecins dénoncent l’absence de rigueur du film des deux végétaliens, dont l’objectif de départ était pourtant noble: lutter contre la malbouffe, fléau de la population américaine.

Mais le diable se cache-t-il seulement dans les protéines animales, et non dans le gras, l’excès de sodium, les additifs alimentaires, les pesticides ou le sucre? Ainsi, What the Health innocente étonnamment ce dernier. On y apprend même que l’alcool et le sucre joueraient un rôle minime dans le diabète, le véritable serial killer étant la «toxine animale». «C’est faux, conteste Dimitrios Samaras, médecin consultant à l’unité de nutrition des Hôpitaux universitaires de Genève. On a prouvé que le sucre est un facteur de risque pour développer le diabète, indépendamment de l’obésité, et je ne vois pas pourquoi on incriminerait uniquement le gras animal. Le sucre raffiné cause de réels dégâts sur la santé.»

Lire aussi: Comment réaliser une mousse au chocolat végane

Mais ce n’est pas la seule contre-vérité. Les deux réalisateurs brandissent par exemple une étude selon laquelle consommer un œuf par jour affecterait autant l’espérance de vie que fumer cinq cigarettes quotidiennes. «Mais de quel type d’œuf parle-t-on, commente Dimitrios Samaras. Bio, industriel, frit, dur? Certes, on a longtemps reproché aux œufs leur taux de cholestérol, mais ce n’est plus vrai aujourd’hui, et rien n’indique qu’il est dangereux d’en manger chaque jour. Encore moins que c’est cancérigène…»

Saucisses et cigarettes

Bien sûr, le film fait la part belle au mal absolu: la viande. En se référant notamment au rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui alerte sur un lien potentiel entre cancer colorectal et viande rouge ou transformée (saucisses, jambon, viande séchée…). La viande industrielle a d’ailleurs été classée par l’organisation dans le groupe 2 des agents cancérigènes, au même titre que la cigarette, l’amiante et le glyphosate. Pour souligner la gravité des recommandations, les réalisateurs vont jusqu’à mettre en scène une mère de famille en train de cuisiner des saucisses mélangées à des cigarettes, avant de les servir à d’innocents bambins.

Lire aussi: Haro sur la charcuterie, accusée de causer le cancer

Et pourtant, même le site de l’OMS précise que la viande transformée n’est pas aussi dangereuse que le tabac, et qu’il s’agit pour l’heure d’une suspicion non confirmée… Gian Dorta, professeur au Service de gastro-entérologie et d’hépatologie du Centre hospitalier universitaire vaudois, précise lui-même que «si l’on suspecte actuellement la viande rouge d’augmenter le cancer du côlon, et même du sein, aucune étude ne l’a confirmé de manière prospective. D’ailleurs la majorité des études sur la nourriture sont biaisées, elles sont faites sur des populations où l’on fait des associations avec certaines maladies. Et les modes de vie ne sont pas pris en compte. Or ils sont un facteur important du cancer. Les végétariens, par exemple, ont souvent une hygiène de vie plus saine et structurée. Ils font du sport, ne fument et ne boivent pas. Pour connaître les bienfaits réels d’une alimentation, il faudrait étudier pendant vingt ans un groupe qui mange de la viande et un groupe végane. Ce qui n’a pas encore été fait.»

Fromage et héroïne

Dans What the Health, même le lait est présenté comme toxique, tandis que le fromage activerait la même zone cérébrale que celle de la dépendance à l’héroïne. Pas de pitié non plus pour le poisson, bourré de métaux lourds, pesticides et herbicides, selon les documentaristes. Or, là encore, «tout dépend du poisson et de sa provenance, se désole Dimitrios Samaras. Et toutes ces allégations ne servent pas la cause des sciences nutritionnelles.» Lui-même est pourtant partisan d’un régime basé sur les végétaux qui, selon lui, «prévient les maladies liées au vieillissement». De son côté, Gian Dorta n’y croit pas du tout: «Il n’y a aucune preuve que le régime plant based évite le cancer.»

Lire aussi: Au secours, mon ado est végane

Dans le documentaire, pourtant, il produit des miracles, une patiente malade du diabète jetant tous ses médicaments au bout de 15 jours de légumes et fibres, sans qu’on sache ce qu’elle devient par la suite. Tandis que des sportifs racontent avoir décuplé leurs performances, et même leur bonheur, grâce au 100% végane. «On peut tout biaiser, sourit Gian Dorta. D’ailleurs il existe même des études qui démontrent que le régime végétarien augmente le risque de cancer du côlon. Ou que l’alimentation végétarienne provoque d’importants déficits en vitamines sur le long terme. Sans oublier que les légumes, même bios, contiennent des métaux lourds à cause de la pollution. Alors soyons sérieux. Revendiquer que seul le régime végane est sain est extrême, c’est comme un culte. Le seul régime que je puisse recommander à l’heure actuelle, c’est de manger léger, varié, avec beaucoup de fruits et légumes, et sans excès de viande rouge, d’alcool ou de café. Mais l’homme n’est pas fait pour manger uniquement des herbes…»