SANTE
Le centre Wyss de médecine translationnelle de l’EPF et de l’Université de Zurich, lancé fin 2014 avec les fonds du milliardaire Hansjörg Wyss, a été inauguré lundi 7 décembre. Cinq projets sont déjà en cours, et deux seront bientôt lancés

«Je sais pas, le futur n’est plus ce qu’il était!», répond Hansjörg Wyss, lorsqu’on lui demande ce qu’il espère voir devenir le Wyss Translational Center Zurich (WTZ), qu’il a financièrement contribué à fonder. Et l’Aula de l’Université du lieu (Unizh) de rires longuement aux éclats. Lundi soir y a été inauguré, en présence du Conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann l’entité que la haute école a pu fonder, conjointement avec l’EPFZ, grâce aux 120 millions de dollars alloués fin 2014 par le milliardaire bernois. Lui qui avait déjà offert 100 autres millions pour l’établissement du Centre Wyss pour l’ingénierie bio- et neuro-inspirée du Campus Biotech à Genève (qu’il a racheté avec Ernesto Bertarelli) et, avant cela, 125 millions à l’Institut pour l’ingénierie bioinspirée de l’Université de Harvard, aux Etats-Unis.
«Notre volonté est vraiment de financer des jeunes scientifiques, et des travaux en médecine translationnelle, soit ceux qui, à la croisée entre les sciences médicales et de l’ingénieur, sont désormais proches d’applications pratiques mais parfois encore dans cette 'Vallée de la mort' où meurent des projets intéressants car à court de financement», résume Simon Hoerstrup, bioingénieur de l’Unizh, qui codirigera le WTZ avec le roboticien de l’EPFZ Roland Siegwart. «C’est une occasion exceptionnelle d’accélérer la recherche biomédicale appliquée dans tout le paysage suisse de l’innovation», s’est réjoui Michael Hengartner, président de l’Unizh. L’établissement de ce centre «montre à quel point le financement privé est devenu important dans le monde de la recherche», a reconnu Johann Schneider-Ammann.
Aujourd’hui, le WTZ abrite une cinquantaine de chercheurs; il y en aura 150 à terme. Deux nouveaux projets seront lancés début 2016, l’un sur une nouvelle thérapie contre le diabète de type-2 utilisant des antigènes, et l’autre sur une molécule déjà testée par l’équipe de Martin Schwab à l’Unizh, qui doit favoriser la repousse des fibres nerveuses dans la moelle épinière de patients paraplégiques. Ils s’ajoutent aux cinq projets déjà lancés en 2015. Premier bilan.
1. Valves artificielles
L’un des projets «phare» du WTZ veut remédier à un problème touchant un nouveau-né sur 100: une malformation du cœur, surtout des valves cardiaques. Dans de tels cas, si la pose d’une valve artificielle est possible, cette opération doit être réitérée régulièrement, vu que l’enfant grandit. La solution? Fabriquer des valves aptes à croître avec le jeune patient. L’équipe de Simon Hoerstrup prélève des cellules humaines puis, dans un milieu de culture, les fait se développer et recouvrir un «échafaudage» biologique reproduisant une valve. Après purification de l’ensemble, ne reste qu’une matrice biologiquement neutre de tissu humain, appelée LifeMatrix. Celle-ci peut être implantée chez un jeune patient, et se voit petit à petit repeuplée par les cellules de ce dernier: au final, cette valve grandit avec la personne implantée. Au WTZ, les chercheurs ambitionnent, pour la première fois, de tester cette technologie lors d’essais cliniques début 2017.
2. Pompes cardiaques améliorées
Lorsqu’un cœur faillit, l’intervention standard est la transplantation. Mais ce traitement est limité du fait du nombre restreint de donneurs de cœur. Souvent, les médecins posent alors une sorte de «pompe artificielle de soutien», dont le rôle est d’accompagner le cœur dans sa tâche. Mais cet instrument a ses défauts: il induit des infections, des caillots, et s’adapte encore mal au changement de rythme physique du patient (suivant qu’il marche vite ou dorme, par exemple), ce qui peut endommager les poumons ou les tissus cardiaques. Le projet HeartOne vise à améliorer cette pompe mécanique. D’une part en l’enveloppant d’une «membrane» neutre pour que le «corps étranger» qu’elle représente pour l’organisme soit mieux toléré par lui (ceci afin d’éviter des remplacements trop récurrents). D’autre part en dotant cette pompe d’un système de senseurs lui permettant de s’ajuster à l’activité physique du patient. Au final: une sécurité et une qualité de vie accrues pour les personnes ainsi équipées.
3. Foie régénéré
Les Grecs le savaient déjà, qui en ont fait l’objet du mythe de Prométhée: le foie est un organe qui se régénère naturellement. Nombre de patients ayant souffert d’un cancer du foie ont ainsi connu, comme traitement, l’ablation de la partie endommagée de l’organe, lorsque la tumeur n’est ni trop grosse ni trop répandue. Dans ces derniers cas, le projet Liver4Life ambitionne, lui, de prélever une partie de foie sain, chez la personne malade ou chez un donneur, puis de la faire croître en laboratoire pour ensuite greffer l’organe ainsi généré chez le patient. Or le défi est le suivant: pour «repousser», l’organe doit se trouver durant plusieurs jours sous l’effet d’un système efficace de perfusion. Or à ce jour, un tel système efficace fait défaut. Les chercheurs du WTZ estiment pouvoir mettre au point une machine pourvoyant les «foies de laboratoire» en oxygène et nutriments nécessaires à sa croissance durant plusieurs jours, ceci tout en monitorant précisément cette dernière.
4. Autoimmunité contrée
Le projet ETIMSred a lui aussi trait au sang, et concerne la sclérose multiple. Cette affection, qui touche 2.5 millions de personnes dans le monde, est l’une des causes les plus fréquentes de handicap neurologique permanent: les cellules immunitaires du patient s’attaquent par erreur à la myéline, matière qui entoure et protège les cellules nerveuses. Il n’y a pour l’heure aucun moyen de guérison. Des traitements permettent d’espacer les rechutes, mais ont des risques d’effets secondaires. En modifiant des globules blancs (des cellules du sang) avec des molécules de myéline, les chercheurs ont déjà réussi, lors d’essais cliniques, à «éduquer» l’organisme pour qu’il tolère ces structures de myéline, diminuant ainsi la réaction autoimmune. Au WTZ, les scientifiques veulent désormais procéder de la même manière en utilisant des globules rouges, beaucoup plus faciles à collecter dans le sang. De quoi améliorer grandement l’efficacité de ces traitements. Un essai clinique de phase I/II est espéré d’ici peu.
5. Navigation robotique
Tout être humain parvient, en principe, à se déplacer et se localiser, même dans des environnements complexes, simplement à l’aide de deux outils: la vision, et le système vestibulaire, situé dans l’oreille interne et lié à l’équilibre. Reproduire une telle capacité reste toutefois extrêmement complexe. Ce n’est que récemment que les scientifiques y sont parvenus, de manière sommaire, et ce champ de recherche est en pleine ébullition. Les groupes de l’EPF et de l’Unizh estiment être en pointe, qui ont rendu possible le premier vol d’un robot autonome se dirigeant uniquement à l’aide d’unités inertielles et visuelles. Le ZurichEye Project ambitionne ainsi de développer cette technologie pour l’appliquer à des engins autant terrestres que volants. Celle-ci doit, à l’aide d’algorithmes inédits de traitement de données, permettre aux robots de se localiser dans n’importe quel endroit, de mémoriser des «cartes en 3D» de leur environnement, et de prendre les meilleures décisions seuls pour agir.