«Dans son numéro du 30 août, le Journal de Genève a exposé, d’après le Berner Tagblatt, la question de l’hymne national suisse. Car c’est vraiment une question; et nous savons tous ce qui en rend la solution malaisée.
La diversité des races et des langues suffit à expliquer que les Suisses n’aient pas de chant proprement dit suisse, c’est-à-dire, consacré par un usage constant et général et par le suffrage unanime des confédérés allemands et latins. Il semble même que l’existence d’un tel chant soit une impossibilité et qu’on ne la puisse rêver plus raisonnablement que l’existence d’une seule langue nationale.
Dans un hymne, il n’y a pas que la musique; il y a aussi […] les paroles, qui doivent exprimer d’une façon simple et puissante l’ardeur du sentiment patriotique. Mais, précisément, la difficulté d’avoir un hymne national se complique pour nous de la nécessité d’adapter, à une mélodie qui réunisse tous les suffrages, des paroles qui expriment en deux langues – et même en trois – des sentiments identiques. […]
On l’a tenté. Nous avons des hymnes plus ou moins nationaux, avec paroles françaises et allemandes, qu’à l’occasion nous nous appliquons à chanter avec enthousiasme. […]
Pour nous en tenir aux paroles de nos chants patriotiques, quelle impropriété, quelle gaucherie, quel irrémédiable prosaïsme! Les plus connus ne sont pas exempts de défaillances, qu’on doit attribuer aux difficultés de la traduction. Le vénéré pasteur [Charles Chatelanat] qui, au temps où il était un jeune Bellétrien, s’appliqua à écrire des paroles sur le thème du Rufst du [, mein Vaterland] ne m’en voudra pas si je constate, à titre d’exemple, que ce début: O monts indépendants, n’est pas des plus heureux. Il sait pourquoi, mieux que moi: l’indépendance est une qualité morale qu’on ne peut guère attribuer aux monts: c’est libres qu’il eût fallu dire, n’étaient les exigences de la mesure et de la rime. […]
Le Rufst du ne nous appartient pas en propre: nous en partageons la mélodie avec les Anglais et les Allemands: c’est un air international. Et pour nous, Suisses, il est pénible de penser que nous n’avons pas un hymne bien à nous et rien qu’à nous.
Aussi le Cantique suisse fait-il mine, depuis quelque temps, de supplanter ce vieux Rufst du . La belle composition [d’Alberik] Zwyssig , si populaire en Suisse allemande, a conquis aussi les sympathies des Welches. […]
Resterait à pourvoir aux paroles. – Car, ici, soyons franc. Celles qu’on y a adaptées sont au-dessous du médiocre, et, pour tout dire, impossibles. […] Voyez plutôt:
Sur nos monts, quand le soleil
Annonce un brillant réveil
Et prédit d’un plus beau jour
Le retour…
Combien est pénible l’inversion qui pèse sur ces deux derniers vers! Il eût encore mieux valu dire:
Et nous prédit le retour
D’un beau jour,
puisqu’aussi bien ce «plus beau jour» est une cheville manifeste. Quant au «brillant réveil» que le soleil annonce – réveil de qui? de quoi? – je ne le goûte pas davantage. Tout cela n’est pas écrit, et, littérairement, n’existe pas. Non plus que la suite:
Les beautés de la patrie
Parlent à l’âme attendrie;
Au ciel montent plus joyeux
Les accents d’un cœur pieux…
De tels vers suffiraient pour envelopper des caramels. Mais pour l’hymne national suisse!!! […] »
« Quant au «brillant réveil» que le soleil annonce – réveil de qui? de quoi? – je ne le goûte pas davantage. Tout cela, littéralement, n’existe pas »
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