Les moins de 30 ans et l’environnement: je t’aime, moi non plus
#GénérationCH 3/6
Les jeunes générations s’engagent pour l’écologie, mais pas de la même manière que leurs aînés. Malgré leurs contradictions, vont-ils sauver la planète à leur façon?

L’écologie? C’est «très important», pour la vaste majorité des 1200 lecteurs qui ont participé à notre enquête en ligne, et cela quel que soit leur âge. N’y aurait-il aucune différence entre la sensibilité environnementale des jeunes d’aujourd’hui et celle de leurs parents ou grands-parents? Pas si vite. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, les jeunes ont globalement un comportement moins «vert» que leurs aînés. Mais ils inventent aussi de nouveaux modes d’action, plus locaux et conviviaux.
Notre enquête #GénérationCH
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Les résultats issus du questionnaire Le Temps révèlent que nos lecteurs de moins de 30 ans ont bien adopté certaines pratiques «écolo». Ils sont par exemple nombreux à renoncer à la voiture au profit des transports en commun ou du vélo – sans qu’on sache cependant s’il s’agit d’un véritable choix ou d’une contrainte.
Plus de 15% d’entre eux ont par ailleurs opté pour une alimentation végétarienne (sans viande ni poisson), voire végane (sans aucun produit d’origine animale). Ce comportement, qui se retrouve chez moins de 5% des plus de 40 ans, témoigne en général d’une attention portée à l’écologie ou à la cause animale.
Pourtant, une analyse plus approfondie montre que l’attitude des jeunes générations n’est pas si «verte» qu’on pourrait le croire. L’enquête Omnibus sur la perception de l’environnement par la population suisse (réalisée auprès de plus de 3000 personnes en 2011 par l’Office fédéral de la statistique, puis renouvelée en 2015) révèle que les moins de 34 ans ne se soucient pas plus des grandes thématiques environnementales (biodiversité, climat, nucléaire, etc) que les personnes plus âgées. Ils s’informent par ailleurs moins sur ces sujets – peut-être parce qu’ils les connaissent déjà, puisqu’ils figurent maintenant dans les programmes scolaires.
Grands-parents écolos
L’enquête Omnibus montre aussi que les catégories plus âgées se préoccupent davantage que les jeunes de la provenance des fruits et légumes qu’ils achètent, des emballages ou encore de la consommation de leurs appareils électriques. Ce qui pourrait dans certains cas être lié à un pouvoir d’achat supérieur. Alors, les grands-parents d’aujourd’hui sont-ils les vrais écolos? «Les cohortes qui étaient jeunes dans les années 1970, lors de l’apparition des grands combats écologiques, semblent avoir conservé jusqu’à aujourd’hui une sensibilité environnementale, qui ne s’est pas reproduite chez les plus jeunes générations», estime Philippe Boudes, maître de conférences à Agrocampus Ouest, à Rennes en France.
Le militantisme vert a aussi changé de visage. De manière générale, les jeunes s’engagent moins en politique et font moins de bénévolat auprès des grandes organisations que leurs aînés. «Cela ne veut pas forcément dire qu’il n’y a plus de jeunes militants, souligne Kathrin Schlup, directrice de la section jeunesse du WWF Suisse. Seulement, les modes d’action sont devenus moins formels, ils passent plutôt par des réseaux très locaux ou des initiatives ponctuelles». Lassés des grands discours, les jeunes s’intéressent-ils avant tout à ce qui se passe sur le pas de leur porte?
C’est en tout cas ce que semble démontrer le film français «Demain», énorme succès en salles, qui présente diverses initiatives écologiques et sociales généralement de petite taille, menées tout autour du monde. «Il y a un clairement un engouement pour les changements immédiats et pour les actions menées dans de petits collectifs – ce qui ne veut pas dire d’ailleurs que certains projets ne peuvent pas gagner de l’ampleur par la suite», estime le philosophe de l’Université de Lausanne Dominique Bourg.
Convivialité et partage
Parmi les domaines d’action qui séduisent les jeunes, l’alimentation au sens large figure en bonne place. Les projets de jardinage urbain et de lutte contre le gaspillage de nourriture sont dans le vent. «Au-delà de l’aspect écologique, les jeunes qui prennent part à ce type de projets sont à la recherche de convivialité et de partage, remarque Bruno Villalba, professeur de science politique à l’école d’ingénieur AgroParisTech. Mais cela a l’avantage de les amener à se questionner plus largement, sur l’aménagement du territoire et les rapports Nord-Sud notamment.»
Il y a néanmoins une limite à cette approche de proximité: les problématiques globales, comme les changements climatiques, ont souvent du mal à mobiliser. Ce qui peut mener à des contradictions: «Il est courant de voir des jeunes gens qui cultivent un potager sur leur toit et font attention à ne pas gaspiller l’eau… mais qui prennent l’avion pour partir en week-end!», relève Kathrin Schlup. Sans parler de l’habitude qui consiste à acheter systématiquement le dernier téléphone à la mode, sans se questionner sur son impact écologique et social…
Bref, la jeune génération n’est pas la championne de l’écologie, car elle manque de cohérence. Un peu comme tout le monde finalement!
Témoignages
Fabien Truffer, 28 ans, Vevey (VD), juriste
«Il y a une année environ, je suis devenu végane. Deux ans auparavant, j’avais fait le pas du végétarisme. Je mange varié, tout simplement, en boycottant les produits de l’exploitation animale. Je ne consomme plus de viande, de poissons, d’œufs ou de produits laitiers. Parmi mes connaissances, personne n’est végan ou végétarien, à mon grand désarroi. Ma motivation n’est pas d’ordre écologique.
J’ai pris conscience de l’injustice faite aux animaux en cherchant des recettes de repas équilibrés sur Internet. J’ai cherché des contre-arguments justifiant l’exploitation animale mais je n’en ai pas trouvé qui tiennent la route. Je milite désormais au sein de l’association Pour l’Egalité Animale (PEA) qui s’oppose à toute forme de discrimination (sexisme, racisme, spécisme). Les membres de notre association progressent de façon exponentielle. Il y a une réelle prise de conscience des plus jeunes face à cette injustice. Sans compter qu’ils n’ont plus le même attachement à la viande que leurs parents ou grands-parents. La viande ne symbolise plus la richesse, l’absence de privations après la guerre ou le bien-manger.»
Olivier Richard, 30 ans, Nax (VS), chef de cuisine et cofondateur d’une épicerie en vrac
«Ma famille produit environ 1,5 kilo de déchet par année. C’est presque rien. J’ai eu le déclic en lisant le livre de Béa Johnson «Zéro Déchet». En déménageant à Nax (VS), j’ai réalisé que la plupart de nos meubles et objets n’avaient aucune utilité. On est envahi de choses dont on a pas besoin. Chaque objet est un déchet en devenir. Tous les emballages finissent aussitôt dans nos poubelles et s’accumulent dans les déchetteries de nos communes ainsi que dans nos sols. La fausse idée du recyclage n’est pas une solution durable pour l’avenir de notre planète.
Vivre mieux avec moins est devenu ma devise. Le plus difficile a été de refuser les cadeaux venant de son entourage pour ma fille. Cela a pris une année pour faire comprendre mon choix, et celui de ma femme. Certaines personnes ne comprennent toujours pas ma démarche. Toutefois, il y a une plus grande conscience des plus jeunes vis-à-vis de l’écologie. Ils ne sont plus dupes grâce aux médias libres. Internet permet de creuser et d’aller plus loin dans notre besoin d’informations par rapport à ce qu’on peut lire dans les médias traditionnels.»
Clément Bailat, 30 ans, Genève, enseignant suppléant en français
«Je n’ai jamais passé mon permis de conduire. Dès l’âge de 16 ans, j’ai décidé de bannir les moteurs pour me déplacer à vélo uniquement. Cela a toujours été une fierté. À l’époque, c’était par refus de polluer et pour dire non au pétrole et aux guerres sous-jacentes. C’était aussi une façon de pouvoir faire la fête sans avoir à prendre le volant pour rentrer.
C’est donc tout naturellement que je participais aux Critical Mass, un mouvement de désobéissance civile qui organise, entre autres, le dernier vendredi du mois, des manifestations à bicyclette dans plusieurs villes à travers le monde. Mes parents ont été assez satisfaits de mon choix. Il faut dire que mon frère a cassé deux à trois de leurs voitures et y a investi beaucoup d’argent. En revanche, j’ai ressenti une plus forte pression de la part de mes grands-parents qui m’ont souvent conseillé de passer mon permis de conduire.
Aujourd’hui, j’ai 30 ans. Je ressens parfois un sentiment de culpabilité par rapport à mes amis qui me véhiculent lorsqu’il s’agit de se déplacer à travers l’Europe pour des tournois de vélo-polo. Je vais peut-être faire mon permis de conduire mais je n’achèterai pas de voiture. Enfin… il ne faut jamais dire jamais. Si j’ai un jour des triplés, j’en ferais peut-être l’acquisition. Mais j’aimerais dans la mesure du possible m’en passer.»