La séduction à la place de la beauté. Un producteur de cette-petite-robe-il-me-la-faut-tout-de-suite-vite-illico à la place d’un sculpteur d’allures. Le cool à la place de l’étrangeté.

Voilà une manière de polariser la nomination, hier, d’Alexander Wang à la tête de la marque Balenciaga, en remplacement de Nicolas Ghesquière. Du premier, on dira, pour faire vite, qu’il est un wonderboy taillé pour l’aisance et la fluidité. Du second, qui a démissionné le mois dernier, un créateur capable de donner une étoffe à son époque.

Alexander Wang a 29 ans. Et déjà une belle route pavée de succès derrière lui – ce qui est un tour de force, tant l’époque actuelle est caillouteuse pour les designers de mode qui se lancent dans ce business phagocyté par les grandes marques et les gros groupes.

Génération Asie

Né de parents taïwanais installés en Floride, Wang commence la Parsons School de New York à 18 ans. Il travaille pour Derek Lam, Marc Jacobs et Vogue. Tant et si bien qu’il arrête l’école pour devenir le bras droit de Marc Jacobs et lancer sa marque éponyme. Il commence par une collection de pulls, enchaîne avec sa première ligne pour femme (2007), s’attaque au marché masculin, aux accessoires, développe une seconde ligne à prix plus abordables: «T by Alexander Wang». Aujourd’hui, ses produits comptent 200 points de vente et s’achètent dans l’aristocratie des grands magasins, de Barneys New York à Bergdorf Goodman en passant par le Bon Génie, qui propose ses sacs et sa seconde ligne.

Dans 2000 ans, peut-être qu’un historien de la mode choisira cet Alexander Wang pour illustrer l’idéal de mode des années 2010. Un bon équilibre entre chic à la française et sportswear américain. Des coupes qui affinent efficacement la silhouette. Une touche d’androgynie boyish mais pas trop. Des tons noirs tout-terrain et des flashs de couleur calculée. Du cuir juste ce qu’il faut. Pour ce style qui combine le faux négligé et le glamour, les magazines ont ressorti le mot «MOD» (models off duty). Comprendre: s’habiller comme des mannequins sortant du bureau.

La nomination d’Alexander Wang devrait donner de la visibilité à ce jeune homme qui sourit tout le temps sur les photos, alors que son prédécesseur, Nicolas Ghesquière, lui, préférait poser en méfiant ténébreux. Il laisse croire que le propriétaire de Balenciaga, le groupe PPR, souhaite positionner cette marque élitaire et pourtant profitable dans un créneau plus abordable. Wang devient le plus visible d’une ample génération de designers américains nés de parents immigrés d’Asie – Derek Lam, Philip Lim, DooRi.

A noter qu’en 2009, Wang avait glané le Prix Swiss Textiles Award, attribué par la branche textile helvétique. Cette récompense n’existe plus. Mais quel flair elle avait! Parmi les débutants qui l’avaient reçue à l’époque, ne compte-t-on pas, outre Alexander Wang, Haider Ackerman ou Raf Simons, aujourd’hui au pinacle chez Dior?