Alta Rocca, au cœur de la pierre
Minérale
Située au sud de la Corse, cette microrégion a de beaux arguments pour séduire le randonneur féru de culture. Dans ce pays de roches, les sites archéologiques et les villages taillés dans le granit témoignent d’un passé quasi inaltérable

C’est un sentier d’automne, bordé de pierres moussues, qui s’enfonce dans les sous-bois au son des feuilles sèches craquant sous les pas. L’arrière-saison en Corse est douce comme la brise qui fait onduler les branches. Elle a le goût des champignons sauvages et des arbouses, ces délicieux fruits rouges qui poussent librement sur le maquis, ne demandant qu’à être cueillis. Les promeneurs ne sont pas nombreux à cette période de l’année dans l’Alta Rocca. Sur cet îlot montagneux du sud de l’île de Beauté, on est à mille lieues des résidences de luxe de Porto-Vecchio, des plages surpeuplées et des bergeries rénovées où l’on entend bêler plus de Parisiens que de brebis. Il arrive même de ne pas croiser âme qui vive lors d’une promenade vers les sites archéologiques de Cucuruzzu et Capula.
Villages-forteresses
Le chemin s’ouvre soudain sur une clairière, au fond d’un vallon. Du couvert des chênes verts émerge une pierre levée. Puis un mur cyclopéen fait de blocs massifs et de pierres taillées. Des marches grossières creusées dans la roche. D’étroites fenêtres donnant sur des abris. Un décor de cinéma préhistorique, au cœur d’une forêt enchantée: Cucuruzzu est l’un des plus remarquables casteddu, comme on appelle ces très anciens villages-forteresses en langue corse. Datant de l’âge de bronze, Cucuruzzu est inscrit au patrimoine de l’Unesco, comme la fortification médiévale voisine de Capula. Dans le silence des lieux, il faut laisser vagabonder l’esprit et imaginer la vie rustique des hommes d’antan, nichés dans la pierre au cœur de la nature. Les fouilles archéologiques ont mis au jour des vestiges d’occupation humaine vieux de dix mille ans.
Comme son nom l’indique, l’Alta Rocca est d’abord un pays de roches. Le granit des innombrables sites archéologiques. Celui des seize villages qui forment cette microrégion au profil marqué. Celui des aiguilles de Bavella émergeant d’une forêt rousse, comme la crête d’un dinosaure. C’est à l’omniprésence de cette pierre dure, à la fraîcheur soudaine de l’air ambiant et à ces bourgs figés dans le temps que l’on reconnaît l’Alta Rocca. «Les villages sont très authentiques avec leurs maisons de maître aux murs épais et aux vastes cheminées. Comme on prélevait le granit sur place, chaque village a aujourd’hui son caractère et sa couleur, qui va du blanc au gris, en passant par le rose et l’ocre jaune», explique Jean-Paul Rocca Serra, agent du parc naturel régional et maire de Serra-di-Scopamène.
Sommets majestueux
A 860 m d’altitude, son village est le plus élevé de l’Alta Rocca. Des seize communes, neuf comptent moins de cent habitants. La plus peuplée, Zonza, est aussi la seule qui dépasse les mille âmes (1802 exactement). Autant dire que la microrégion n’attire pas pour ses pistes de danse, ses boutiques de mode ou ses activités nautiques. On y vient pour ses forêts, ses cours d’eau, ses sommets majestueux et ses parois d’escalade, ses hameaux nichés dans les bois et leur patine historique: fontaines, moulins, lavoirs… On y trouve un exemple rare de paysages humanisés par des générations d’éleveurs et de cultivateurs (oliviers, châtaigniers), sans y avoir perdu leur identité.
A pied ou à cheval
Depuis la haute commune de Quenza, une route s’élève entre les fougères vers le plateau de Coscione. Ce secret autrefois bien gardé a fini par tomber dans l’oreille des estivants. C’est désormais hors saison que l’on peut s’imprégner de ces vastes étendues planes aux allures de Mongolie insulaire. Avec ses pelouses d’altitude, ses trous d’eau caractéristiques des plateaux corses (pozzines), ses chaos rocheux, sa vue portant jusqu’au mont Incudine (2134 m) et aux aiguilles de Bavella, le Coscione offre des randonnées superbes, à pied ou à cheval.
Jean-Paul Rocca Serra s’y rend souvent. Avec la communauté de communes de l’Alta Rocca, il recrute des éco-gardes, travaille à l’aménagement des sentiers mais aussi à la préservation du site. Tout en redonnant vie et confort aux anciennes bergeries afin de relancer l’estive, une tradition devenue anecdotique.
Chez Pierrot est une institution du Coscione. Un gîte, table d’hôtes et centre équestre situés sur les contreforts du plateau. Ne pas déranger Pierre Milanini, le maître des lieux, à l’heure de la sieste. Le reste du temps, il faut l’entendre conter ses souvenirs d’enfance. La vie sur l’Alta Rocca, «m’a permis de connaître les bêtes et surtout les hommes», dit-il sobrement. Ce jour-là, Pierrot reçoit la visite de son ami Roger Large, un métropolitain installé en Corse depuis des décennies. Et qui n’aime rien tant que musarder sur le plateau, pêcher dans les rivières qui en descendent et passer des heures avec les habitants des lieux. «Les touristes viennent surtout en été. Ils ont tort: c’est magnifique en toute saison ici. On y trouve tout ce dont l’homme a besoin», souffle-t-il.
Une terre très inspirante
«L’Alta Rocca, c’est à la fois une terre de majesté et de modestie. Grandeur des paysages, à l’image des aiguilles de Bavella, qui changent de couleur selon le jour et l’heure, du violet au pourpre ou à l’orange… Noblesse de la pierre. Mais aussi simplicité de ses habitants, au caractère parfois granitique. C’était une région en voie de dépeuplement. Heureusement, elle commence à attirer à nouveau de jeunes artistes et artisans: sculpteur sur bois, ferronnier d’art, potier… Il faut dire qu’elle est très inspirante», explique Janine de Lanfranchi, conservatrice du passionnant Musée de l’Alta Rocca à Levie. Et fille de l’archéologue François de Lanfranchi, découvreur du site de Cucuruzzu. Si la plupart des grands sites mégalithiques sont connus depuis la nuit des temps, on en exhume encore aujourd’hui.
Trou de la bombe
Soyons justes: on ne se sent pas toujours seul dans l’Alta Rocca. Les aiguilles de Bavella sont un fleuron du tourisme-aventure en Corse. Sept tours de granit, de 1588 m à 1848 m d’altitude, dominent un vaste massif où serpentent les sentiers et leur flot de randonneurs. L’un des plus spectaculaires mène au «Trou de la bombe», une échancrure de huit mètres de diamètre sur une arête, surplombant un à-pic de cinq cents mètres. Rien à voir avec le souvenir laissé par un boulet de canon génois ou pisan: ce trou a été créé par l’érosion naturelle. En corse, l’endroit s’appelle d’ailleurs «l’enclos aux brebis», ce qui rappelle qu’ici l’homme n’a jamais été loin de la nature. Dans la brume d’un petit matin, la silhouette des aiguilles et des pins laricios donne à Bavella un faux air des montagnes sacrées du Huangshan. On voudrait pouvoir les immortaliser à l’encre de Chine.
Y aller
EasyJet propose des vols directs entre Genève et la Corse plusieurs fois par semaine entre avril et octobre. Aller-retour à partir de 100 francs suisses environ. www.easyjet.com. Via Paris toute l’année, autour de 300 francs, www.airfrance.fr
Y dormir
A Pignata. Une ferme-auberge propose seize chambres abritées dans de grands bâtiments en pierre de taille, ainsi que deux grandes cabanes dans les chênes (1 double, 1 suite). A partir de 215 francs la chambre standard (pour deux, en demi-pension).
Au restaurant, menu unique à base de produits frais locaux à 52 francs. Ouvert tous les jours, du 1er avril au 5 novembre et du 26 au 31 décembre. www.apignata.com, tél.: +33 4 957 841 90.
A voir
Sites archéologiques de Cucuruzzu et Capula. A Levie, prendre la direction de Sainte-Lucie de Tallano. Tél. +33 4 957 848 21.
Musée de l’Alta Rocca, à Levie. www.levie-altarocca.com