Amy Ota, Japonaise à Montreux, métisse à Tokyo
Portrait
Elle est née d’une mère suisse et d’un père japonais. Dans l’Archipel, où elle est une présentatrice célèbre, l’exotisme que dégage la double appartenance séduit

A Tokyo, elle habite au 17e étage d’un gratte-ciel. A Montreux, elle séjourne dans la Tour d’Ivoire, au 22e étage. Etrange cette habitude de vivre haut, là-bas ou ici. «Je n’y prête même plus attention», dit-elle. Lui parler bien évidemment du risque sismique qui sur la Riviera doit être proche du zéro. Ça doit reposer les nerfs. «Au Japon, on vit avec cela. La terre bouge mille fois par jour, de manière heureusement imperceptible le plus souvent. Les bâtiments sont conçus pour, je n’éprouve pas de peur», confie-t-elle.
Amy Ota, 33 ans, est Suisso-Japonaise. Elle aime dire qu’elle est perçue à Montreux comme une Japonaise et à Tokyo comme une métisse «parce que je ne ressemble pas physiquement à une Japonaise». «Ce qui est très bien connoté», poursuit-elle. Amy Ota cite en exemple la jeune championne de tennis Naomi Osaka, vainqueur du dernier US Open, née d’une mère japonaise et d’un père haïtien, très populaire dans l’Archipel, surtout auprès des jeunes. Elle-même est célèbre. Fabien Clerc, son mari, raconte qu’une sortie en ville n’est jamais simple à cause des demandes d’autographe et des selfies. Amy Ota est une curiosité de par sa double culture et ses nombreuses apparitions à la télévision. Elle a travaillé pour la NHK, l’unique et pharaonique groupe audiovisuel public japonais dont l’audience moyenne frôle les 30% des foyers japonais. Elle anime aujourd’hui une émission le samedi matin sur Tokyo FM, la plus grande station de radio du pays aux 45 millions d’auditeurs. Elle le reconnaît volontiers: «Je dois à mon histoire atypique d’être devant les caméras et de parler au micro.»
Les valeurs nippones
Retour quarante-cinq ans en arrière. Claudine, sa maman, une Montreusienne, part pour trois mois au Japon afin de découvrir une culture qui la fascine. Elle tombe éperdument amoureuse d’un Japonais nommé Masakazu Ota, prolonge donc son voyage, épouse le jeune homme et tous deux fondent une école d’enseignement de l’anglais basée sur la Drama Method appelée MLS, un apprentissage créatif qui emprunte au théâtre des jeux de scène. L’établissement a fait des petits puisqu’il en existe actuellement une trentaine à Tokyo.
Je dis souvent que je parle un anglais de partout, à la fois américain mais aussi de Thaïlande, du Vietnam et d’Hawaï, et les Japonais aiment cela
Amy Ota
Née en 1986, Amy Ota grandit avec son frère et sa sœur dans un environnement international. Les Ota voyagent beaucoup (Europe, Etats-Unis, Asie) mais s’imposent chaque année un arrêt estival à Montreux pour des retrouvailles familiales. C’est ainsi qu’Amy se bâtit une suissitude sans réel effort puisque les deux pays géographiquement très distants possèdent des similitudes sociétales. Fabien Clerc, directeur de Suisse Tourisme au Japon et qui occupe le poste de premier secrétaire à l’ambassade, explique: «Autant ici que là-bas, l’ordre, la discipline, le respect de l’autre et des traditions sont des valeurs. Il existe un profond individualisme mais pour le bien de tous.»
Ils se sont rencontrés à Tokyo lors d’une soirée où étaient conviés de jeunes expatriés suisses issus du monde industriel. Amy et Fabien observent alors qu’ils partagent des choses en commun. «Fabien est né dans le même hôpital que ma mère à Vevey et c’est l’un de mes oncles qui lui a ouvert son premier compte en banque», raconte-t-elle. Au pays du Soleil levant, pétri de superstitions, ces signes ne trompent pas. Le couple se marie en 2017 en Suisse. Un Japonais ne doit posséder qu’un seul passeport. Dans les faits, la loi est contournée puisque les double-nationaux demeurent nombreux. Exemple: sur les 1700 Suisses résidant au Japon, 950 ont en poche deux documents. Cette restriction n’offusque pas Amy Ota qui se sent davantage citoyenne du monde.
Des interviews de stars
Après des études dans une école internationale, elle s’en va vivre de 2005 à 2008 en Grande-Bretagne, y décroche un bachelor en management et en psychologie. A son retour au Japon, elle est repérée par des responsables de chaîne de télévision, est recrutée et elle interviewe des chanteuses et chanteurs comme Ariana Grande, Norah Jones, Enya et son compatriote Bastian Baker. «Les stars internationales viennent volontiers au Japon parce que les gens achètent énormément de CD», confie-t-elle.
L’émission qui l’a fait connaître, une quotidienne de dix minutes, titrée Easy English for Adults, proposait une méthode rapide pour apprendre l’anglais par le biais de gestes de la vie quotidienne. Succès garanti surtout quand la leçon est donnée lors d’une découpe de poisson. Elle raconte: «Je dis souvent que je parle un anglais de partout, à la fois américain mais aussi de Thaïlande, du Vietnam et d’Hawaï, et les Japonais aiment cela.»
Dans un pays de 126 millions d’habitants qui n’a accueilli en 2017 que 20 réfugiés et recense à peine 2 millions d’étrangers, la forme d’exotisme que dégage Amy Ota séduit. La population devrait chuter à 87 millions d’ici à 2060. L’immigration est dans ces conditions au centre des débats pour pallier le manque de main-d’œuvre et le déclin démographique. D’autres pistes sont néanmoins suivies comme le recours aux robots. Amy Ota a ainsi ponctuellement pour coprésentatrice Haru, une vieille dame androïde.
Profil
1986 Naissance à Tokyo.
2011 Début de sa carrière télévisuelle.
2012 Animatrice sur NHK, chaîne nationale du Japon.
2014 Rejoint Tokyo FM, station radio aux 45 millions d’auditeurs.
2017 Mariage à Vevey.
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