Treize ans plus tard, Anousheh Ansari a encore les yeux humides lorsqu’elle visionne les images du décollage de SpaceShipOne, la fusée qui l’a menée jusqu’à la Station spatiale internationale. A l’écran, le public la découvre sereine et heureuse dans sa tenue d’astronaute aux côtés de l’équipage de la mission Soyouz TMA-9. Quelques jours après son 40e anniversaire, le 18 septembre 2006, l’Iranienne naturalisée américaine a été la première femme touriste à passer dix jours dans l’espace. Un exploit. En 2016, on comptait 537 voyageurs spatiaux, dont seulement 61 femmes. 

Anousheh Ansari était à Genève fin mai pour le sommet «AI for Good» («L’intelligence artificielle au service du bien»), coorganisé par la Fondation XPrize, qu’elle dirige depuis octobre, et les agences onusiennes. L’entrepreneuse y a donné plusieurs conférences dont une à l'Institut de hautes études internationales et du développement. A chaque fois, elle conquiert son audience par un discours simple et inspirant: «Si vous pouvez en rêver, vous pouvez le faire.»

Un message d’autant plus percutant qu’Anousheh Ansari se présente comme une femme d’origine modeste, musulmane et iranienne. Et que, loin de s’en excuser, l’Américaine d’adoption invite tout un chacun à tirer le meilleur parti des diverses facettes de son identité; à sortir des cases où la société aimerait nous mettre et à «prouver que l’on devrait tous être vus comme des êtres humains».

Parce que j’aime démontrer aux gens qu’ils ont tort, j’ai réussi là où personne ne m’attendait

Anousheh Ansari veut que son parcours serve d’exemple: elle qui est devenue une experte en technologie, a créé une entreprise de télécommunications, a été touriste spatiale et dirige aujourd’hui la Fondation XPrize. «Parce que j’aime démontrer aux gens qu’ils ont tort, j’ai réussi là où personne ne m’attendait», dit-elle.

Le pouvoir de l’imagination

Le rêve et le travail ont été ses moteurs. Anousheh Ansari naît à Mechhed, en Iran, en 1966. Sa mère est employée dans l’administration d’une université, son père œuvre dans la vente et le marketing. Ils divorcent tôt et la petite fille passe beaucoup de temps à l’école et chez ses grands-parents. «Bonne élève, je lisais beaucoup, l’éducation m’a ouvert un nouveau monde», se souvient-elle.

Elle est adolescente lorsque éclatent la révolution iranienne, puis la guerre avec l’Irak. Pour échapper au bruit des bombes, au chaos des rues et aux restrictions des libertés individuelles, Anousheh Ansari plonge la tête dans les étoiles. Elle se met à rêver de visiter un jour l’espace, à bord d’une fusée rose qu’elle s’applique à dessiner.

En 1984, elle atterrit à Washington DC aux Etats-Unis avec sa mère et sa sœur. Deux jours plus tard, les jeunes immigrées se retrouvent parachutées dans le hall d’un établissement scolaire, sans parler un seul mot d’anglais, ni comprendre son fonctionnement. «C’était très dur, plus dur que d’aller dans l’espace. Pour aller dans l’espace, tu reçois un entraînement, pour arriver aux Etats-Unis, non», plaisante-t-elle.

Anousheh Ansari excelle en mathématiques, «une langue universelle», et en sciences. Elle rêve toujours d’intégrer la Starfleet Academy, comme dans StarkTrek qu'elle regardait enfant, et d’étudier l’astrophysique. Sa mère ne pouvant payer un cursus dans un autre Etat, elle dévie temporairement de sa trajectoire et suit des études en génie électrique et en informatique à Washington.

La suite du parcours d’Anousheh Ansari apparaît comme un sans-faute: elle intègre une société de télécommunications – où elle rencontre son mari. Ils quittent la compagnie, travaillent comme consultants, puis fondent leur propre entreprise et la revendent en pleine bulle internet. «A 34 ans, that was it. J’avais eu du succès, atteint ce que je voulais atteindre. Je souhaitais utiliser l’argent de la vente de ma compagnie pour quelque chose qui me tenait vraiment à cœur. Je suis donc retournée à l’école pour étudier l’astronomie.»

Son parcours attise la curiosité des médias. Le magazine Fortune la classe parmi les 40 personnalités de moins de 40 ans. Elle dit son désir d’aller dans l’espace et attire l’attention de Peter Diamandis, le fondateur de la Fondation XPrize. Depuis plusieurs années, il cherche des personnes que cela intéresserait de participer à son premier prix, pour encourager l’industrie spatiale privée. La famille Ansari est la première à répondre positivement. En 2004, leur fusée remporte la récompense de 10 millions de dollars. Après un entraînement avec les Russes, Anousheh Ansari s’envole pour l’espace deux ans plus tard.

L'espace plus proche que l'Iran

A chaque étape, elle choisit de transmettre et d’inspirer. Le décollage de sa mission est diffusé en direct à la télévision iranienne. On lui refuse de coudre un drapeau iranien sur sa combinaison. Elle parvient à tenir le tout premier blog – assurant qu'il serait apolitique et relu – depuis la station spatiale internationale. Plus de 20 millions d’internautes la suivent et interagissent avec elle.

Depuis son retour, elle voyage à travers le monde pour partager son histoire et susciter des vocations. Elle est un modèle pour de nombreuses femmes, en Iran et au-delà. A la tête de la Fondation XPrize, elle œuvre à grande échelle pour mettre l’imagination et l'innovation au service de la planète. Les prix décernés soutiennent des projets capables de répondre aux plus grands défis de l'humanité. Ils vont de la conquête de l’espace à la cartographie des fonds marins, de la préservation des forêts à l’éducation des enfants. «Nous ciblons des problèmes dont les gouvernements et les entreprises ne s’occupent et invitons les participants à trouver la meilleure manière d’utiliser la technologie pour les régler», explique-t-elle.

Et peut-être, un jour, à réconcilier la vision de la planète vue du ciel avec celle du monde dans lequel elle vit. «Voir la Terre depuis l’espace est un moment inoubliable où l’on comprend que toutes les frontières que l’on trace sur les cartes n’existent pas, que notre planète est magnifique et interconnectée», dit-elle. De retour sur Terre, les obstacles diplomatiques sont pourtant bien réels. Depuis son vol, Anousheh Ansari n’est jamais retournée en Iran, son mari craignant que le voyage ne soit trop risqué pour elle, au vu des rapports extrêmement tendus entre ses pays de naissance et d’adoption.


Profil

1966: Naissance à Mechhed, Iran.

1978-1979: Révolution iranienne.

1984: Arrivée à Washington DC aux Etats-Unis.

2000: Revente de la société Telecom Technologies, fondée avec son beau-frère et son mari.

2006: Départ pour un vol de dix jours dans la Station spatiale internationale.

2018: Nommée CEO de la Fondation XPrize.