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Bon appétit. Mange ta soupe

Les torpeurs digestives de l'après-fêtes écrasent le mangeur devant son

Les torpeurs digestives de l'après-fêtes écrasent le mangeur devant son poste de télévision. Là, entre quelques somnolences et soubresauts de sa vésicule biliaire aux abois, il aperçoit des hippopotames envasés, un hockeyeur rossant un arbitre, Ben Laden en prédicateur hâve, la carte des vents qui soufflent sur les Galapagos ainsi que bien d'autres scènes plus ou moins moroses ou surprenantes. Une séquence publicitaire a retenu toute notre attention. Elle vante une soupe toute faite dont les petites pâtes, représentant des personnages ou des symboles, incitent les enfants à finir leur assiette avant que l'on doive leur tirer les oreilles. Un jeune couple, citadin semble-t-il, constate avec stupeur que leur jeune fils unique, non seulement finit sa soupe, mais encore en redemande. Ils ont l'air si ébahis que leurs traits sont comme marqués par un saint effroi, celui que pourrait inspirer la vision d'un archange – une entité céleste imposante s'il en est malgré ses ailes emplumées. Le gamin, miracle, reste totalement absorbé par sa soupe. Dans la séquence télévisée en question, une soupière de forme classique, en porcelaine blanche, trône au centre de la table familiale, pleine de la potion aux pâtes magiques. Or la soupe traditionnelle, qui sombre peu à peu dans l'oubli culinaire, est un aliment sain et complet d'une digestibilité exemplaire. De plus, la bonne assimilation de sa haute teneur hydrique lui confère des vertus si bienfaisantes pour les peaux sèches que, à cet égard, bien des crèmes de jour, ou de nuit, ne lui arrivent pas à la cheville. Dès lors, nous nous étonnons qu'une ligne cosmétique, surfant sur la vague et la vogue du terroir, n'ait pas encore inspiré le marketing pour voir le jour sous un nom flatteur tel que poireaux-pommes de terre. De plus, la soupe peut avoir des propriétés ravigotantes pour le fêtard, comme celle à l'oignon des matins blêmes, ou encore faire office de rince-cochon, telle la soupe au vin rouge ou soupe de perroquet, ou celle au vin blanc, la chicolle. La soupe d'ivrogne, ainsi nommée par les Bourguignons, fera l'affaire, soit un bouillon de bœuf corsé et brûlant que l'on fortifie d'un bon vin rouge. Bonne année.

Les Mots de la Cuisine et de la Table. Guillemard C. Belin 1990.