Les députés du Bundestag s’apprêtent à mettre un terme à l’une des polémiques les plus vives de ces dernières années en Allemagne. Ce vendredi, ils devraient voter la suppression du paragraphe 219a du Code pénal, qui criminalise la «publicité» sur la pratique des avortements par les gynécologues. Soutenue par les trois partis de coalition, sociaux-démocrates, écologistes et libéraux, cette réforme est assurée de passer.

Si le sujet semble technique, il n’a cessé de faire les gros titres depuis 2017 et la condamnation à 6000 euros d’amende d’une gynécologue de Giessen, dans la Hesse. Kristina Hänel avait indiqué sur son site internet pratiquer des interruptions volontaires de grossesse (IVG) et donné des informations à ce sujet. A l’époque, cela était totalement interdit par la loi. En 2019, le Code pénal fut amendé afin d’autoriser les praticiens à écrire sur leur site qu’ils proposaient des avortements. Impossible toutefois d’en dire plus sur les techniques employées ou le coût de cet acte médical. Depuis, Kristina Hänel est devenue le fer de lance de la lutte pour l’abrogation du paragraphe 219a et a saisi la Cour constitutionnelle l’an dernier.

«Un anachronisme et une injustice»

Entré en fonction il y a six mois, le nouveau gouvernement d’Olaf Scholz a fait de cette réforme une de ses priorités. Il juge que ce paragraphe 219a entrave «l’accès aux soins médicaux professionnels et au libre choix du médecin» et porte «atteinte au droit à l’autodétermination sexuelle et reproductive». «Sur Internet, chaque théoricien du complot et chaque personne véhiculant des fake news sont autorisés à répandre n’importe quel non-sens sur les avortements», constatait le libéral Marco Buschmann, ministre fédéral de la Justice, lors d’un débat parlementaire en mai. «Il est en revanche interdit aux médecins qualifiés, gardiens de la science et des faits, de fournir des informations factuelles. C’est absurde. C’est un anachronisme et une injustice», a-t-il lancé dans l’hémicycle du Bundestag.

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Crainte de la «banalisation» des IVG

Le texte qui sera approuvé ce vendredi prévoit de soumettre les avortements aux mêmes règles de publicité que les médicaments et de réhabiliter les médecins condamnés par la justice.

L’opposition, elle, vient des députés chrétiens-démocrates (CDU/CSU), de l’extrême droite (AfD) et des Eglises, catholique et protestante, pour qui l’interdiction de la publicité sur l’avortement assure le droit «de la vie à naître». Ils avertissent aussi des risques de «banalisation» des avortements, dont le nombre avoisine les 100 000 par an. Un chiffre stable et relativement faible en comparaison internationale.

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Avortement illégal par principe

Pour la gynécologue berlinoise Christiane Tennhardt, cette réforme est une «réussite» et «un soulagement». Cette militante espère que la réforme sera une étape vers la levée générale de la criminalisation des avortements, symbolisée selon elle par l’article 218 du Code pénal.

En Allemagne, les IVG restent en effet illégales, sauf sous certaines conditions très précises. Les femmes doivent être à l’origine de la demande et ne pas être enceintes de plus de douze semaines. Elles doivent aussi se soumettre à un entretien avec un centre de planning familial agréé par l’Etat, obtenir son aval puis respecter une pause de trois jours avant de recourir à l’IVG. En cas de viol, l’entretien préalable n’est toutefois pas exigé, et en cas de danger pour la mère, l’IVG peut être pratiquée à n’importe quel moment.

«Le paragraphe 218 doit disparaître», estime Christiane Tennhardt, pour qui «tout est fait en Allemagne pour rendre l’avortement compliqué». Sans oublier qu’«un acte illégal ne peut être enseigné à l’université», rappelle-t-elle. Membre de l’association Doctors for Choice, cette praticienne plaide pour que la pratique des avortements trouve une vraie place dans le cursus universitaire des étudiants de médecine, ce qui n’est pas le cas actuellement.

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«La stigmatisation reste forte»

Supprimer le paragraphe 218 n’est toutefois pas à l’ordre du jour du gouvernement allemand, même si certains au sein de la coalition et dans l’opposition y sont favorables. Le parti de gauche Die Linke rappelle que l’Allemagne ne suit pas les lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé, qui recommande la fin de la criminalisation des avortements et la levée de la période d’attente pour les patientes.

Christiane Tennhardt ne se fait toutefois pas d’illusions. «Même si ces deux paragraphes disparaissaient du Code pénal, tout ne serait pas parfait. La stigmatisation des femmes et des médecins reste forte et il est difficile de trouver un praticien en zones rurales, notamment en Bavière», rappelle-t-elle. Outre-Rhin, le nombre de médecins pratiquant des avortements a été divisé par deux en vingt ans. «Il est difficile de changer la société par la loi mais c’est une bonne chose que le débat ait lieu», estime-t-elle. «Cela fait prendre conscience aux jeunes générations que l’avortement est un droit qu’il faut préserver. Tout peut aller si vite. La Pologne et les Etats-Unis sont là pour nous le rappeler.»

Mise à jour: La date du vote du Bundestag (vendredi 24 juin 2022 au lieu du jeudi 23) a été modifiée après la mise en ligne de l'article, suite à un changement de programme du parlement allemand.