Ariane Séguillon: A la suite de ma perte de poids récente, on me posait des questions sur les réseaux sociaux, on écrivait des articles expliquant que j’avais minci à ce point-là simplement en faisant du sport… Je ne pouvais pas laisser dire cela. J’ai voulu arrêter la langue de bois, expliquer que j’étais boulimique et que j’avais décidé de me soigner. On parle beaucoup de l’anorexie mais très peu de personnes médiatisées évoquent la boulimie, qui reste encore assez taboue: manger toute la journée, être grosse, ce n’est pas sexy. En plus de la maladie, il faut aussi subir la grossophobie, les préjugés, les moqueries, les difficultés de la vie quotidienne (les chaises qui s’écroulent sous votre poids, les sièges d’avion trop petits pour les personnes obèses…) Quand on est grosse, cela devient votre identité, comme si l’on vous réduisait à un indice de masse corporelle. J’ai choisi ce titre car j’ai voulu qu’il soit aussi violent que ce que vivent chaque jour les personnes obèses dans le regard des autres.
Comment la boulimie est-elle entrée dans votre vie?
C’est une maladie très sournoise, un processus insidieux qui s’installe progressivement: la vigilance face à la nourriture s’étiole progressivement. J’avais toujours été mince mais mon rapport à l’alimentation n’était sans doute pas très sain; en 2015, lorsque mon frère m’a annoncé qu’il avait un cancer, j’ai basculé dans la maladie. Ce jour-là, je me suis précipitée dans une boulangerie et j’ai englouti à la chaîne cinq croissants et cinq pains au chocolat sans réfléchir. Mon frère se droguait et peut-être, inconsciemment, ai-je cherché à le rejoindre dans son addiction, même si la mienne prenait une autre forme. A sa mort, en 2018, la maladie s’est considérablement aggravée. J’ai alors dépassé les 105 kilos. J’avais mal aux chevilles, certains matins je n’arrivais plus à marcher. J’ai toujours continué à travailler mais je rentrais vraiment dans un processus d’autodestruction.
Lire aussi: Troubles alimentaires: «Les appels à l’aide ont explosé pendant la pandémie»
Vous dites que la boulimie est l’une des addictions les plus difficiles à vaincre…
Absolument, car on ne peut se passer de manger. De plus, la nourriture est en accès libre, tout le temps disponible. La boulimie est un refuge, une drogue: on ne mange pas par faim mais pour se remplir, pour combler un manque, un peu comme une oie qu’on gave. Aller au restaurant avec des amis, par exemple, c’était un moment de torture car il fallait manger comme les gens normaux: une entrée, un plat, un dessert… C’est un peu comme si vous donnez une seule taffe à un gros fumeur. J’avais hâte de rentrer dans ma chambre pour pouvoir passer aux choses sérieuses et m’empiffrer tranquillement. Lorsqu’on est boulimique, on se cache: un peu comme un alcoolique qui planque des bouteilles, je cachais de la nourriture partout dans la maison car, à cette époque, mon fils vivait encore avec moi. Aux amis qui s’étonnaient, un peu gênés, de ma prise de poids, je répondais que c’était pour un rôle dans un film…
Comment avez-vous eu le déclic pour vous en sortir?
Un jour, j’ai menti à mon fils qui me demandait où étaient passés les gâteaux rangés dans le placard, et je me suis dit que je n’avais pas le droit de lui faire cela. Peu après, j’ai poussé la porte d’une psy et j’ai enfin admis que j’étais boulimique. Mettre un mot sur ce mal qui vous détruit, sortir du déni, c’est déjà le début de la guérison. J’ai compris que la nourriture venait colmater une brèche, une insécurité, un besoin éperdu d’être aimée, un sentiment de culpabilité aussi, lié au fait que je n’avais pas su protéger mon frère des viols qu’il avait subis, enfant, de la part de l’un de nos oncles. Beaucoup de femmes m’écrivent aussi pour me dire qu’elles se sont souvenues d’un viol, qui a sans doute un lien avec leur boulimie: d’un seul coup, leur corps ne leur semble plus désirable. C’est souvent long et difficile d’affronter ses fantômes mais la solution à la boulimie se trouve toujours dans la tête: ce manque que vous ressentez, il n’y a que vous-même qui pouvez le combler.
Lire également: Troubles alimentaires et mythe du parent parfait
Quels conseils peut-on donner à ceux qui souffrent de cette maladie?
Beaucoup de lecteurs m’écrivent pour me dire que mon témoignage leur a donné envie de lutter, de vivre et cela m’émeut aux larmes. C’est très important d’essayer de s’aider les uns les autres, de parler sans tabou de cette maladie. La seule façon de sortir de ce mal qui détruit, c’est d’apprendre à s’aimer, et pour cela, il faut parfois pousser la porte d’un psy. Avant de faire cette démarche, j’ai à peu près tout essayé: les régimes, qui n’aboutissent qu’à dérégler le métabolisme, le ballon gastrique, la cure d’amaigrissement… A chaque fois, j’ai repris du poids. Lorsque ma psy a vu que j’arrêtais de mentir, que j’étais en train de guérir de ma boulimie, elle a accepté que je me fasse opérer: en 2020, j’ai subi une sleeve, une intervention chirurgicale qui consiste à réduire l’estomac des deux tiers. Mais pour que l’intervention fonctionne, il faut déjà se soigner avant.
Lire encore: Les obèses ne sont pas responsables de leur surpoids
Aujourd’hui, êtes-vous guérie?
Depuis 2020, j’ai perdu 45 kilos. J’ai réappris à faire quatre repas par jour, j’ai totalement changé mon rapport à la nourriture, j’ai retrouvé les sensations de faim et de satiété, qui m’étaient devenues totalement étrangères. Je reste vigilante lorsque je fais les courses, ou bien le soir, lorsque je me retrouve seule dans ma chambre d’hôtel après une journée de tournage où j’ai été très entourée. J’ai appris à apprivoiser la solitude, à ne pas toujours avoir besoin d’être aimée, entourée… mais c’est un long chemin. Cette phrase qui clôt mon livre résume bien mon état d’esprit actuel: je suis guérie mais je me soigne.
Dans cet épisode de notre podcast Brise Glace, Christian raconte ses idéaux de beauté et les soins qui l’ont sauvé