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A Arzier, des immigrés de quatorze pays différents apprennent à vivre ensemble

Réunis cinq jours dans une maison de vacances vaudoise, une trentaine de réfugiés et requérants d'asile et leurs enfants ont tenté une expérience multiculturelle passionnante qui nomme les différences pour résoudre les conflits.

Une expérience stimulante, peut-être une première en Suisse romande, s'est déroulée la semaine dernière à Arzier, au-dessus de Nyon. Quarante-cinq hommes, femmes et enfants ont passé cinq jours ensemble dans une maison de vacances appartenant à la paroisse genevoise de la Servette. A l'exception de deux femmes suisses allemandes, tous étaient déracinés, la plupart requérants d'asile ou réfugiés statutaires, beaucoup n'ayant pas ici un emploi qualifié à la mesure de leurs compétences. Ils venaient de quatorze pays différents, dont l'Albanie et le Kosovo, la Somalie et l'Erythrée, le Yémen et l'Afghanistan, le Burundi et le Congo, l'Irak. Encadrés par une femme d'origine hollandaise, Gerda Ferrari, une Américaine, Ann Avery, et une Burundaise, Marcienne Mujawaha, ils ont fait à Arzier une expérience inédite de vie en commun.

Le bain multiculturel, beaucoup le vivent déjà au quotidien dans un foyer pour requérants, à l'école ou au travail. Mais à Arzier, ils avaient un objectif central, adapté aux enfants comme aux adultes: mettre en place, en les exprimant et les adaptant concrètement à la vie de chaque jour, les conditions nécessaires à une coexistence pacifique. Ils voulaient aussi sortir de la ville – pour certains, c'était la première fois –, et permettre aux enfants de grimper le Jura à vélo, se promener la nuit dans la forêt ou nager dans le Léman. Tout cela en ne payant que 50 francs symboliques pour cinq jours, le reste du budget de 16 000 francs étant assuré notamment par la paroisse et le mouvement Campagne pour la Paix.

«Quand les toiles des araignées se réunissent, elles peuvent lier un lion»: ce proverbe éthiopien a guidé la réflexion des trois organisatrices, trois femmes énergiques et enthousiastes qui font partie à Genève d'un réseau interculturel d'échanges entre femmes, le RESIF, coordonné par l'association F-Information. L'année 2000 marque le début de la décennie pour l'éducation à la paix décrétée par l'ONU, et Ann Avery pratique l'éducation à la paix depuis des années: elle a mis au point des programmes utilisés dans des camps de réfugiés en Afrique. Gerda Ferrari, diacre à la Servette, fait feu de tout bois pour créer des ponts et permettre aux étrangers de rencontrer et se faire entendre. Marcienne Mujawaha a été ministre des questions sociales et féminines dans son pays et elle sait faire une richesse de son expérience de réfugiée en Suisse.

Ce sont donc elles qui ont mis au point le programme d'une semaine consacrée le matin à réfléchir aux besoins et conditions nécessaires à vivre en paix et à expérimenter librement le reste de la journée. Un médecin albanais émigré à Genève assurait la présence médicale. Et Jean-Claude Decastro, un éducateur spécialisé haïtien qui vit depuis seize ans à Genève, s'est chargé d'organiser cuisine et logistique.

Jeudi après-midi, quelques femmes discutent en buvant du thé devant la maison. Il y a là deux jeunes sœurs afghanes, l'une mariée et l'autre fiancée à des hommes qu'elles n'ont pas choisis. Leurs enfants grandiront dans la culture afghane, elles ne les laisseront pas s'égarer en contexte non musulman. La plus jeune n'aime pas son fiancé à peine rencontré qui va arriver du Pakistan mais elle l'épousera. Habillée à l'européenne, elle rit et secoue ses cheveux en racontant ce qui, elle le sait bien, indigne les femmes suisses et africaines plus âgées qui l'écoutent et tentent de la convaincre de réfléchir encore. Plus loin, une jeune Yéménite en jeans et T-shirt moulant ondule avec le bébé de sa voisine dans les bras. Elle a fui un mariage arrangé et, si elle a accroché au mur de la grande salle le dessin d'une femme voilée jusqu'aux yeux escortée d'un homme à poignard, elle a jeté par-dessus bord tout le noir qui la cachait. Dans une pièce où n'entre pas qui veut, les enfants ont mis au point un château symbolique entouré d'obstacles: ils n'y entrent qu'en choisissant un compagnon en qui ils ont confiance pour les guider dans ce labyrinthe. Une jeune Allemande qui étudie la pédagogie de la migration et fait un stage à l'association pour femmes immigrées Camarada à Genève les encadre.

L'expérience se révèle concluante même si pas toujours facile. Au-delà de l'émotion des expériences partagées et de l'intérêt de rencontrer pour la première fois des Kosovars, une des deux femmes suisses, Thérèse Waelti, a ressenti parfois le besoin d'aller se ressourcer dans la forêt, à l'écart de «trop de confusion et d'énergies divergentes».

Darko Sola, un informaticien croate de 28 ans qui travaillait à la Télévision de Pristina, est satisfait d'avoir pu entendre comment les autres étrangers présents résolvent leurs problèmes et ceux de leurs enfants ici. «Il faut que je trouve où je suis et prépare un chemin pour mes enfants.» Arrivé il y a vingt mois, il a trouvé la distance qui lui convenait pendant cette semaine en tournant une vidéo. Quant à l'Haïtien Jean-Claude Decastro, il s'est étonné de retrouver «une nonchalance» un peu oubliée et a établi le contact avec un réfugié éthiopien qui s'est vu non sans peine faire pour la première fois de sa vie la vaisselle et garder son enfant.

Et Marcienne Mujawaha de conclure: «J'avais un peu peur que chacun vienne plein d'espoir et reparte déçu. Mais nous avons pu faire passer l'idée de l'exploration interculturelle, celle aussi que le conflit fait partie de nos vies et que tout dépend de la manière de le résoudre. Après avoir écouté les drames petits et grands vécus par chacun, par les Suisses aussi, nous voyons peut-être l'avenir différemment.» Gerda Ferrari et Ann Avery voulaient, en lançant ce projet et en le conceptualisant, qu'il se renouvelle – avec davantage de Suisses présents – et essaime ailleurs. Avis aux amateurs.

Contact: 022/733 06 16 ou aavery@freesurf.ch