Publicité

ASMR, la curieuse pratique qui met les internautes «en transe»

L’acronyme, qui signifie «réponse autonome sensorielle méridienne», est une technique de relaxation en pleine expansion sur les plateformes de vidéos et de podcasts. Le phénomène rassemble des millions d’internautes

Caresser un ananas avec des pinceaux... C'est ça aussi, l'ASMR. — © DR/Ephemeralrift
Caresser un ananas avec des pinceaux... C'est ça aussi, l'ASMR. — © DR/Ephemeralrift

Pour se détendre, certains regardent des films, font du sport. D’autres allument leur ordinateur et se laissent hypnotiser par des bruits de mastication, des frottements de mains, des crépitements, des chuchotements. Ce sont des adeptes de l’ASMR («Autonomous Sensory Meridian Response», ou «réponse autonome sensorielle méridienne»): une méthode de relaxation destinée à apporter plaisir et détente à l’aide de différents stimuli auditifs.

Pour les aficionados de ce genre de pratique, l’écoute de ces sons déclencherait des sensations de bien-être intense. Frissons le long de l’échine, relâchement, chatouillements à l’arrière du crâne – certaines personnes décrivent un quasi «état de transe», au point d’affirmer qu’il provoquerait même un genre «d’orgasme cérébral».

Pas pour tout le monde

«C’est comme si je rentrais en profonde méditation. Les muscles situés au niveau du dos et de la nuque se relâchent complètement», témoigne Frédérique Nierlé, une Genevoise fan de cette pratique. Avant de découvrir les vidéos ASMR, la jeune femme se sentait surmenée et se relaxait avec des médicaments. «J’en écoute environ 30 minutes par jour et cela m’aide énormément, surtout dans les périodes de surcharge de travail.»

Si ces vidéos font de l’effet à certains, d’autres ne ressentent strictement rien. «Tout le monde n’est pas réceptif à ce genre de stimuli, explique Pierre Lemarquis, neurologue spécialisé dans les effets de la musicothérapie sur le cerveau. Il s’agit d’un phénomène qui s’apparente à de la suggestion, comme en hypnose, ce qui suppose une capacité à lâcher prise, à rêver et à développer son imagination. Cela dépend donc du vécu et de la sensibilité physiologique de chaque individu.»

Profession: «ASMRartiste»

La pratique rassemble des millions d’adeptes sur le Net. Et nombreux sont les «ASMRartistes», ces youtubeurs qui produisent des vidéos visant à provoquer cette sensation de bien-être chez le spectateur. Une rapide recherche sur la plateforme YouTube montre qu'elle héberge près de 99 000 chaînes spécialisées dans le domaine. Certains comptes d’artistes ASMR sont suivis par près d’un million d’internautes: c’est le cas de la youtubeuse russe Maria Viktorovna, plus connue sous le nom de «Gentle Whispering». Les plus célèbres réussissent à vivre de leur activité.

Que donnent à voir ces vidéos? Généralement, le youtubeur est face caméra et exécute une série de mouvements et de tapotements sur divers objets. Ces stimuli auditifs sont ensuite captés par des micros ultrasensibles capables d’enregistrer le son en trois dimensions. Le but ultime étant de provoquer des «triggers» chez le spectateur, déclencheurs responsables de ces fameuses sensations.

«La découverte des vidéos ASMR a été une révélation pour moi. Elles m’ont aidée à mieux dormir et à mieux gérer le stress, témoigne Laura, une artiste ASMR genevoise connue sous le pseudo «ASMR relaxation». Il y a un an, la jeune femme a décidé de se lancer et de créer ses propres vidéos pour aider d’autres personnes à se relaxer. Sur sa chaîne YouTube, Laura préfère rester anonyme et refuse de montrer son visage.

Dans le flot des vidéos ASMR, certaines se distinguent par leur excentricité. Les cas cocasses ne sont pas rares –comme cette vidéo dans laquelle un youtubeur caresse un ananas pendant plus d’une heure.

D’autres contenus sont sexuellement explicites. Quelques youtubeuses n’hésitent pas à enchaîner les poses lascives et à jouer sur la provocation. «Certaines vidéos vont rester dans le soft et la relaxation, alors que d’autres dérivent vers des contenus plus érotiques, explique Laura. Mes vidéos n’ont aucun caractère sexuel ou fétichiste, mais je sais que cela peut être mal interprété et je préfère ne pas le dire à mes proches. Je n’assume pas complètement.»

Peu de recherches scientifiques sur le sujet

A l’heure actuelle, il n'y a pas beaucoup de littérature scientifique sur le phénomène et seules deux études explorent ce terrain inconnu. La première, réalisée en 2015 par l’Université de Swansea, au Royaume-Uni, s’appuie sur un panel de 475 personnes réceptives aux stimuli sonores. Parmi les sondés, 98% utilisent l’ASMR pour se relaxer, 13% pour soulager des douleurs chroniques et 69% pour soulager leurs symptômes de dépression. Seules 5% des personnes interrogées utiliseraient ces vidéos pour assouvir des désirs sexuels.

Une autre étudepubliée en 2016 à l’Université de Winnipeg, au Canada, avance que les personnes réceptives à l’ASMR détiennent certaines caractéristiques communes: les zones cérébrales liées à l’imaginaire, aux souvenirs et au plaisir auraient une activité beaucoup plus intense que chez les personnes non réceptives.

Toujours selon l’étude, on retrouverait plus de connexions au niveau des cortex auditifs et visuels chez les spectateurs sensibles. «Il est possible que l’ASMR reflète une capacité à désinhiber des expériences sensorielles et émotionnelles qui sont supprimées chez la plupart des individus», écrivent les chercheurs.

Sérotonines et endorphines, les neurotransmetteurs du bonheur

Malgré le peu de littérature scientifique sur la question, il est possible d’expliquer les fondements neurologiques de ce phénomène. «Dans le cerveau, il y a plus de neurones liés à l’audition que pour tous les autres sens réunis, analyse Pierre Lemarquis. La stimulation de l’oreille par des sons particuliers entraîne le déclenchement de neurotransmetteurs – des composés chimiques comme la sérotonine ou l’endorphine –, qui ont des propriétés analgésiques et qui provoquent cette sensation de bien-être intense, précise-t-il. La sérotonine a aussi un impact sur la régulation du système circadien, un processus biologique qui joue sur les mécanismes du comportement et qui influence notre humeur.

Autre procédé neurologique impliqué: la synesthésie, qui combine plusieurs sens en les associant. «Les synesthètes peuvent par exemple percevoir des couleurs en réponse à des sons, ajoute le neurologue. Dans le cas de l’ASMR, les patients ressentent des stimuli physiques, comme des frissons et des chatouillements. On peut donc émettre l’hypothèse que ces amalgames sensoriels sont plus vifs chez les amateurs d’ASMR.»

Un outil marketing à la conquête du Web

Comment prouver scientifiquement ces mécanismes? «Ce dont nous avons besoin, ce sont des études à partir d’IRM fonctionnelles et de stimulations magnétiques transcrâniennes, spécifie Craig Richard, professeur en biopharmaceutique à l’Université Shenandoah, en Virginie (Etats-Unis). Des recherches qui se penchent sur les différences entre les personnes réceptives et non réceptives: est-ce que leurs cerveaux sont vraiment différents et, si oui, pourquoi?»

Le phénomène prend de l’ampleur, au point de devenir un véritable outil marketing. Dernièrement, c’est le géant Ikea qui s’est emparé des codes ASMR pour promouvoir son nouveau catalogue de rentrée: une publicité de 26 minutes, disponible sur YouTube. On n’a jamais été aussi près du lavage de cerveau.