Bardenas Reales, Far West ibérique
Le voyage
Au pied des Pyrénées espagnoles, le désert des Bardenas Reales est un fabuleux monde minéral fait de massifs escarpés et de profonds canyons. Oublié du tourisme de masse, ce parc naturel fait le bonheur des marcheurs et des productions cinématographiques

Imaginez-vous au carrefour des parcs nationaux de l’Utah (Etats-Unis), de la vallée de la Lune d’Atacama (Chili) et du grand rift africain (entre Kenya et Ethiopie). Imaginez une étendue de terre aride et inhabitée, striée d’un labyrinthe de collines et de canyons, de reliefs ruiniformes et de cicatrices terrestres, où l’on croirait encore entendre l’écho du premier matin du monde. Bienvenue dans le désert des Bardenas, merveille géologique encore oubliée du tourisme de masse. Pour venir ici, nul besoin de traverser les océans et de franchir les continents. Nous sommes en Espagne, à une heure du sud des Pyrénées.
Aux confins de la Navarre et de l’Aragon, les Bardenas Reales sont un minuscule territoire de 425 km2, protégé au sein d’un parc naturel depuis 1999, et reconnu réserve de la biosphère par l’Unesco en 2000. C’est un univers à nul autre pareil en Europe. Une plaine jaunie d’où émergent massifs et escarpements fabuleux appelés cabezos. Depuis les beaux villages qui bordent le désert, une piste sommaire s’enfonce dans un nuage de poussière jusqu’à ces fantaisies minérales que l’on approche ensuite à pied ou à VTT. C’est en arpentant le moindre barranco (ravin) que l’on s’immerge vraiment dans ce terrain de jeux.
La Pisquerra, qui émerge à 468 m d’altitude, est le plus emblématique des cabezos. Ici, pluies et vents ont sculpté la terre depuis des siècles avec une imagination débridée. L’érosion a creusé plus ou moins profondément l’argile, le gypse, le calcaire et le grès. Elle en a fait surgir pics, vallons et collines, laissant les sentiers se perdre dans un enchevêtrement de gorges et de vallées, avant de rejaillir sur les lignes de crête ornées de draperies. Au loin, la steppe est quadrillée de champs de céréales (blé, riz, orge). A certains endroits, on ne dirait plus un paysage, mais un décor de cinéma.
Un trône de pierres
Ce sont d’ailleurs les images qui ont popularisé les Bardenas. Pas une publicité automobile à la télé espagnole qui n’ait le désert pour toile de fond. Photos de mode et clips musicaux célèbrent son étrange beauté. D’innombrables films y ont été tournés ces dernières années (Brimstone, La Promesse, Cartel, Le Moine, Opération Valkyrie, L’homme qui tua Don Quichotte…). Mais aussi et surtout des passages de la saison 6 de la série Game of Thrones (2015), qui ont attiré ici des aficionados parfois venus de loin.
Tous passent à Castildetierra, «la tour Eiffel des Bardenas», comme la surnomme le guide Jean-Marie Barèges, qui y a effectué plus de dix voyages. Il ne se lasse pas d’admirer ce monolithe aux formes torturées, posé sur un lacis de crevasses et surplombé d’une cheminée de fée. Au coucher du soleil, les nuances de bleu et de rouge émergent des strates sédimentaires. Le ciel devient pastel. Castildetierra est une œuvre d’art naturelle. On croise deux véhicules sur le parking, rarement plus. Les Bardenas demeurent un secret d’initiés.
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Il y a des raisons à cela. D’abord l’absence d’aéroport international dans la région la moins dense d’Espagne. Mais aussi l’apparente volonté des gestionnaires du parc de protéger le désert plutôt que de le promouvoir. Avant de vous indiquer les lieux photogéniques, le bureau d’accueil détaille tous les interdits: dormir dans le parc, y camper, pratiquer l’escalade et, surtout, s’approcher des zones les plus spectaculaires de février-mars à septembre. C’est en effet une zone de protection pour les oiseaux des steppes et les rapaces, qui y nidifient. Vautours fauves, percnoptères d’Egypte, aigles et milans survolent les marcheurs, avant de se poster à flanc de falaise. Comme dans un western.
Secret-défense
Le désert est le siège d’autres étonnants volatiles: les avions de l’armée de l’air espagnole, qui y possède une base et un polygone de tir. Les Bardenas Reales (royales) sont, juridiquement parlant, une propriété de la couronne d’Espagne. Mais depuis la reconquête menée par les Navarrais aux dépens des Maures, le bénéfice des lieux revient à 22 communes avoisinantes, plus un monastère et l’armée. Celle-ci apporte une manne financière si importante que les revenus du tourisme en deviennent accessoires. D’où l’absence de signalisation, de marquage sur les sentiers ou de facilités pour les visiteurs. Le parfum de la découverte n’en est que plus fort.
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En quatre longues journées de randonnée, nous n’entendrons qu’une fois les avions voler. Seul le vent et le craquement des semelles sur les dépôts salés brisent le silence. Le bruit des pas et des sabots a écrit l’histoire de la région. Quarante mille brebis empruntent encore chaque année les chemins de transhumance. Les bergeries austères racontent ce passé. Les troupeaux s’ébattent parmi les plantes de la garrigue: armoise, chardon, sabine, spart, romarin, chêne des garrigues, genévrier… Les tapis de thym embaument sur leur passage.
Au sein de la grande dépression de l’Ebre, les Bardenas se divisent en trois zones. Les Bardenas Negras (noires) ont conservé le couvert végétal d’avant le défrichement. El Plano est un plateau cultivé d’où la vue est saisissante. Mais l’incontournable, ce sont les Bardenas Blancas (blanches), qui abritent les reliefs mythiques: Castildetierra, Pisquerra, Rallón, falaises de la Ralla, Balcón de Pilatos… «Ce que j’aime, c’est que selon les lieux, le moment de l’année, la lumière, les Bardenas prennent un visage très différent. Les voyageurs sont stupéfaits de trouver une telle variété d’écosystèmes ici», explique Jean-Marie, le guide, qui connaît par cœur ce dédale minéral.
L’érosion est si rapide qu’on peut constater d’une année à l’autre les bouleversements du paysage. C’est fascinant.
Il ne faudrait pas oublier que les Bardenas sont un vrai désert. Un lieu parfois hostile, très froid en hiver, brûlant en été. Le cierzo, vent dominant du nord-ouest, est une bise coupante. Une averse rend vite les chemins glissants, voire impraticables. Sans carte ni guide, il est facile de se perdre dans ces badlands. On ne triche pas avec cet environnement. «C’est un paysage dur. Cette solitude et cette désolation ont aussi forgé le caractère des habitants de la région», souffle Miguel Pemán Samper, propriétaire d’une maison d’hôtes au visage taillé à la serpe, qui a grandi aux portes du désert.
Dans ces villages agricoles, on n’a qu’un regard distant pour ce lambeau de terre ocre et craquelée. Miguel, lui, aime sillonner ces paysages mouvants: «L’érosion est si rapide qu’on peut constater d’une année à l’autre les bouleversements du paysage. C’est fascinant.» Comme tous les acteurs touristiques de la région, il souhaite que les Bardenas se fassent mieux connaître, tout en gardant leur âme rude. Mais il n’en est pas question. Les seuls maîtres de cette terre restent les grands rapaces. Ils ne quittent jamais des yeux les randonneurs de passage.
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Y aller
Les aéroports les plus proches sont ceux de Saragosse, Pau et Biarritz. Mais le plus rapide reste un vol Genève-Barcelone (Swiss, environ 200 francs AR), suivi de 5h de route.
Y dormir
Posada d’Uncastillo: le charme du bois brut et de la pierre, des chambres cosy et du petit déjeuner devant la cheminée. Et surtout l’hospitalité de Miguel et Inma, excellents connaisseurs des Bardenas. La chambre double à 90 francs. lapastora.net
Hospederia de Sádaba: des chambres vastes au charme dépouillé. Un bar-terrasse et un restaurant qui met l’accent sur la cuisine aragonaise. Accompagnée de «la meilleure huile d’olive du monde», dixit le chef, qui en vend parfois des flacons. La chambre double dès 70 francs. hospederiadesadaba.es
Cuevas de Bardenas: à Valtierra, des appartements troglodytes originaux, avec terrasse, pour 2 à 9 personnes. De 150 à 300 francs environ la nuit, selon le type d’hébergement. lasbardenas.net
Y séjourner
Terres d’Aventure propose un circuit accompagné de 6 jours (à partir de 840 francs) au départ de Pau (France). Le prix comprend les transferts, l'encadrement par un guide et l'hébergement en hôtel dans une demeure ancienne restaurée en pension complète. 4h à 5h30 de marche par jour, sur des sentiers parfois accidentés mais avec faible dénivelé. Important: la meilleure saison est d’octobre à fin février. Après cette date, les plus beaux secteurs sont fermés aux randonneurs.
Terre d'aventure, 19, rue de la Rôtisserie, Genève, 022 518 05 13, terdav.com
Y musarder
Les villages médiévaux d’Uncastillo et Sos Del Rey Catolico valent une visite. Tout comme le château de Sádaba. La ville de Tudela, la plus proche du désert, est réputée pour produire les meilleurs légumes d’Espagne, qui se retrouvent à toutes les tables. Et notamment au bar Rancho Grande, réputé pour la qualité de ses tapas.