«Les bâtiments à grande échelle cassent le contexte»

L’urgence de construire de nouveaux logements en ville et de réhabiliter des quartiers laissés en friche, comme celui du Rôtillon, impose aux architectes de choisir leur camp quant à leur stratégie de densification au mètre carré. Mais d’un côté comme de l’autre, les critiques fusent. Le projet de construction de la tour Taoua, dans le quartier de Beaulieu, va être soumis en votation en avril. Les tours, prisées par les promoteurs, hérissent encore les sensibilités. Mais, paradoxalement, un projet à taille humaine comme celui de l’Atelier niv-o reste tout autant déconsidéré. Ivo Frei avoue qu’un rédacteur en chef zurichois a refusé d’en faire un article, le traitant de «village de vacances».

Ivo Frei, qui se situe clairement du côté d’une architecture à taille humaine, en fait une profession de foi: «On a voulu recréer un tissu avec une histoire. Ce qui se fait généralement sur les friches industrielles, comme Greencity à Zurich notamment, ce sont de grosses barres d’immeubles de 10 étages où personne n’a envie d’habiter. C’est trop grand, il y a trop d’espace, ces endroits ne sont pas assez densifiés au sol. Le Rôtillon est à échelle humaine (que ce soit les rues ou les appartements), on peut y flâner, regarder les vitrines, on y rencontre ses voisins. Quand vous habitez dans de grandes barres, vous devez faire vos courses dans les centres commerciaux et prendre votre voiture… Bien sûr, ici on se situe en ville mais je suis convaincu qu’on pourrait faire la même chose sur les friches industrielles. Par exemple, Paris, c’est immense, mais la ville s’est construite comme ça! Je suis triste qu’on revienne aux barres des années 70; quand je faisais mes études, c’était justement ce qu’on ne voulait plus construire.

«Big is boring»

»Et maintenant, les années 70 redeviennent à la mode, même dans l’architecture. J’ai lu un article d’une sociologue dans une revue roumaine*. Elle retrace l’historique du problème de la grandeur en architecture: dans les années 30, on s’inspire de Machiavel: «Ne faites pas de petit plan, ils n’ont pas de magie sur les gens.» Jusque dans les années 70, c’était «Big is beautiful» et puis on a dit «Big is boring». On a redécouvert le régionalisme, des architectes qui faisaient des petits bâtiments comme Peter Zum­thor. Manhattan c’est magnifique, mais le problème, c’est qu’on a dupliqué Manhattan et ses gratte-ciel partout dans le monde…

A New York, les gratte-ciel ont un sens parce que c’est une île et que la terre est limitée. Mais ailleurs, c’est répétitif. Les bâtiments à grande échelle cassent le contexte, cassent le tissu urbain, ce qui fait qu’on perd la notion de ville, l’intérêt de la ville.»

* Revue «Arhitectura», No 6, 2013.